la culture comme enjeu politique
vendredi 6 mai 2011
Présentation du séminaire
« la culture comme enjeu politique ».
« Trésor accumulé des créations humaines » (comité central d’Argenteuil 1966) ou bien encore « ce qui permet à l’individu de sentir pleinement sa solidarité avec les autres hommes, dans l’espace et le temps, avec ceux de sa génération comme avec les générations qui l’ont précédé et avec celles qui le suivront… » (Paul Langevin 1931)… la culture est un objet de réflexion et un champ d’action auxquels les communistes ont longtemps accordé une place déterminante en empruntant en France la voie singulière ouverte par les Lumières, à la fois respectueuse du passé, critique et utopiste.
Cette démarche a toujours été animée d’un double refus : celui de considérer la culture comme un luxe réservé à une élite ou comme un simple produit valorisable.
Animée également d’une double ambition : élever le niveau culturel de l’ensemble de la population quelle que soit son origine sociale, ethnique, territoriale afin de l’aider à exercer son esprit critique et son intervention citoyenne et faire de l’enjeu culturel un enjeu politique émancipateur pour la personne humaine et transformateur des rapports sociaux.
Force est de constater que depuis plusieurs années maintenant, la création artistique, la démocratisation culturelle et la promotion de la diversité culturelle connaissent une stagnation, voire une régression très sensible.
Cette crise est à la confluence d’au moins trois phénomènes :
• Sur le plan économique avec le développement d’une industrie et d’un commerce symptômes d’une marchandisation accélérée des « œuvres de l’esprit ».
• Sur le plan politique par le démantèlement systématisé depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, des politiques publiques de la culture, du ministère lui-même avec la RGPP, ainsi que par les attaques contre les collectivités locales avec la réforme actuelle.
• Sur le plan idéologique et moral par l’offensive intellectuelle menée depuis plusieurs décennies autour d’une conception libérale des rapports sociaux (individualisation, concurrence sociale, darwinisme social…) d’une régression intellectuelle sans pareil (survalorisation du biologique, mise en cause de la psychanalyse, créationnisme et résurgence d’un fondamentalisme religieux … Enfin du « retour de très vieilles ombres » (Patrick Chamoiseau) avec l’émergence d’un populisme voire d’une xénophobie d’Etat survalorisant une vision de l’identité nationale profondément réactionnaire.
Face à cela le monde de la culture a beaucoup de mal à développer un mouvement de résistance aux attaques gouvernementales et les forces politiques de gauche, PCF compris, se contentent le plus souvent d’accompagner et de soutenir ces luttes qui ne rencontrent pas l’écho et le soutien populaire nécessaires à des victoires significatives. Revendiquer une augmentation des budgets, une meilleure politique culturelle (mais par rapport à quelle période précédente ?) ne suffit plus. Ce qui est en cause aujourd’hui dans le mouvement social et surtout sur le plan politique c’est notre capacité à définir le sens, la portée, l’ambition d’un projet culturel se situant lui-même au cœur d’un projet politique de transformation des actuels rapports de domination et d’aliénation.
Le champ des questionnements est vaste et l’épuiser ne sera sans doute pas à la portée de ce séminaire. Mais quelques questions peuvent servir de point de départ :
• Comment redonner du sens au soutien public à la création contemporaine ? Comment repenser les conditions mêmes de l’exercice de la liberté de création face au poids de l’argent et à l’interventionnisme politique ? Comment être particulièrement attentif à l’innovation et aux formes émergeantes de la création artistique ?
• Comment légitimer la place de l’art dans la société ? comment réfuter cet « air du temps » qui fait de l’art un luxe insupportable en temps de crise parce que prétendument capté par les « couches moyennes cultivées » ? Comment montrer que l’art est « ce moyen qu’a trouvé une femme ou un homme pour raconter à un(e) autre son rêve par lequel il révèle et constitue sa réalité intérieure » (Roland Gori, 2010) ou encore que c’est ce qui incite le spectateur ou le lecteur à reconfigurer son « partage du sensible » (Jacques Rancière, 2000) ou bien encore qu’il n’y a pas de société, ni d’activités humaines sans forme de symbolisation et de ritualisation, sans production mythique.
• Comment renouer avec l’ambition démocratique du partage des œuvres et des pratiques artistiques, d’une appropriation populaire de l’imaginaire et du symbolique par et pour la société toute entière ? Comment relancer sous des formes neuves et citoyennes l’éducation populaire dans tous les territoires, dans l’espace urbain comme dans celui du travail ?
• Comment prendre en compte les pratiques culturelles réelles des Français, en particulier avec l’irruption du numérique et le poids croissant des industries culturelles ? Comment inventer une autre économie de la culture respectueuse des droits des créateurs, de la liberté de circulation des œuvres tout en refusant la soumission aux exigences de la reproduction du capital ?
• Et surtout comment refaire de l’enjeu culturel un enjeu de société, un enjeu politique pour ceux à gauche qui réfléchissent aujourd’hui aux formes du dépassement d’un capitalisme à bout de souffle mais qui ne s’effondrera pas de lui-même ? Comment penser une alternative à cette société de l’éphémère, du reproductible, du jetable, du rentable ?
Dans son discours au monde de la culture à Nîmes en janvier 2009 Nicolas Sarkozy affirmait que la culture n’était pas un secteur de l’activité gouvernementale parmi d’autres mais « ce qui donnait le sens à toute l’action publique ». La droite semble en effet avoir compris l’enjeu gramscien de la construction d’une hégémonie culturelle à l’échelle de la société, singulièrement dans les classes populaires au même rythme que nous l’avons oublié. Les liens étroits désormais établis entre le monde des médias, en particulier l’audiovisuel, celui de l’édition et de la presse, participent de cette construction. L’offensive pour intégrer l’école et l’université à ce dispositif relève de la même ambition.
Il est grand temps, à gauche, de savoir comment refaire de la culture, du « partage du sensible » pour reprendre l’expression de Jacques Rancière, de l’imaginaire et du symbolique, le creuset d’une pensée sur l’avenir et sur l’alternative.
Le moment est venu de « pousser dans une autre direction que celle qui depuis trente ans nous poussait à fonctionner dans une certaine direction » (Yves Citton, « Mythocratie », 2010).
« La culture est la condition de la politique parce qu’elle est la condition du débat, de la circulation de la parole, des opinions et des jugements, de l’accès à la citoyenneté dans la liberté et l’égalité à travers les gestes de la pensée et de la création » nous rappelle Marie-José Mondzain dans Cassandre d’août 2010.
L’urgence de refonder une pensée politique de gauche est en soi une question culturelle. Elle est d’autant plus forte que nous savons que tout projet de société transformateur doit désormais procéder d’une intervention citoyenne et de la participation de tous à l’élaboration et à la construction d’une alternative émancipatrice durable et solidaire à la société actuelle.
Une intervention citoyenne qui ne peut se résumer aux luttes et qui doit s’emparer des champs politiques, idéologiques et culturels.
Espaces Marx et le PCF se proposent de traiter de l’ensemble de ces questions dans un séminaire de longue durée avec la participation de personnalités issues du monde universitaire, artistique, politique et syndical.