Le capital au XXIe siècle

Le capital au xxie siècle
Thomas Piketty

Introduction

La répartition des richesses est l’une des questions les plus vives et les plus débattues aujourd’hui. Mais que sait- on vraiment de son évolution sur le long terme ? La dynamique de l’accumulation du capital privé conduit- elle inévitablement à une concentration toujours plus forte de la richesse et du pouvoir entre quelques mains, comme l’a cru Marx au xixe siècle ? Ou bien les forces équilibrantes de la croissance, de la concurrence et du progrès technique conduisent- elles spontanément à une réduction des inégalités et à une harmonieuse stabilisation dans les phases avancées du développement, comme l’a pensé Kuznets au xxe siècle ? Que sait- on réellement de l’évolution de la répartition des revenus et des patrimoines depuis le xviiie siècle, et quelles leçons peut- on en tirer pour le xxie ?

Telles sont les questions auxquelles je tente de répondre
dans ce livre. Disons- le d’emblée : les réponses apportées sont
imparfaites et incomplètes. Mais elles se fondent sur des don-
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nées historiques et comparatives beaucoup plus étendues que
tous les travaux antérieurs, portant sur trois siècles et plus de
vingt pays, et sur un cadre théorique renouvelé permettant de
mieux comprendre les tendances et les mécanismes à l’oeuvre.
La croissance moderne et la diffusion des connaissances ont
permis d’éviter l’apocalypse marxiste, mais n’ont pas modifié
les structures profondes du capital et des inégalités – ou tout
du moins pas autant qu’on a pu l’imaginer dans les décennies
optimistes de l’après-Seconde Guerre mondiale. Dès lors que
le taux de rendement du capital dépasse durablement le taux
de croissance de la production et du revenu, ce qui était le
cas jusqu’au xixe siècle et risque fort de redevenir la norme
au xxie siècle, le capitalisme produit mécaniquement des
inégalités insoutenables, arbitraires, remettant radicalement en
cause les valeurs méritocratiques sur lesquelles se fondent nos
sociétés démocratiques. Des moyens existent cependant pour
que la démocratie et l’intérêt général parviennent à reprendre
le contrôle du capitalisme et des intérêts privés, tout en
repoussant les replis protectionnistes et nationalistes. Ce livre
tente de faire des propositions en ce sens, en s’appuyant sur
les leçons de ces expériences historiques, dont le récit forme
la trame principale de l’ouvrage.
Un débat sans source ?
Pendant longtemps, les débats intellectuels et politiques
sur la répartition des richesses se sont nourris de beaucoup
de préjugés, et de très peu de faits.
Certes, on aurait bien tort de sous- estimer l’importance
des connaissances intuitives que chacun développe au sujet
des revenus et des patrimoines de son temps, en l’absence
de tout cadre théorique et de toute statistique représentative.
Nous verrons par exemple que le cinéma et la littérature, en
particulier le roman du xixe siècle, regorgent d’informations
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
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extrêmement précises sur les niveaux de vie et de fortune des
différents groupes sociaux, et surtout sur la structure profonde
des inégalités, leurs justifications, leurs implications dans la vie
de chacun. Les romans de Jane Austen et de Balzac, notamment,
nous offrent des tableaux saisissants de la répartition
des richesses au Royaume- Uni et en France dans les années
1790-1830. Les deux romanciers ont une connaissance intime
de la hiérarchie des patrimoines en vigueur autour d’eux.
Ils en saisissent les frontières secrètes, ils en connaissent les
conséquences implacables sur la vie de ces hommes et de ces
femmes, sur leurs stratégies d’alliance, sur leurs espoirs et leurs
malheurs. Ils en déroulent les implications avec une vérité et
une puissance évocatrice qu’aucune statistique, aucune analyse
savante ne saurait égaler.
De fait, la question de la répartition des richesses est trop
importante pour être laissée aux seuls économistes, sociologues,
historiens et autres philosophes. Elle intéresse tout le
monde, et c’est tant mieux. La réalité concrète et charnelle
de l’inégalité s’offre au regard de tous ceux qui la vivent,
et suscite naturellement des jugements politiques tranchés
et contradictoires. Paysan ou noble, ouvrier ou industriel,
serveur ou banquier : chacun, depuis le poste d’observation
qu’il occupe, voit des choses importantes sur les conditions
de vie des uns et des autres, sur les rapports de pouvoir et
de domination entre groupes sociaux, et se forge sa propre
conception de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. La
question de la répartition des richesses aura toujours cette
dimension éminemment subjective et psychologique, irréductiblement
politique et conflictuelle, qu’aucune analyse prétendument
scientifique ne saurait apaiser. Fort heureusement,
la démocratie ne sera jamais remplacée par la république des
experts.
Pour autant, la question de la répartition mérite aussi d’être
étudiée de façon systématique et méthodique. En l’absence
de sources, de méthodes et de concepts précisément définis,
INTRODUCTION
17
il est possible de dire tout et son contraire. Pour certains, les
inégalités sont toujours croissantes, et le monde toujours plus
injuste, par définition. Pour d’autres, les inégalités sont naturellement
décroissantes, ou bien spontanément harmonieuses,
et surtout rien ne doit être fait qui risquerait de perturber cet
heureux équilibre. Face à ce dialogue de sourds, où chaque
camp justifie souvent sa propre paresse intellectuelle par celle
du camp d’en face, il existe un rôle pour une démarche
de recherche systématique et méthodique – à défaut d’être
pleinement scientifique. L’analyse savante ne mettra jamais
fin aux violents conflits politiques suscités par les inégalités.
La recherche en sciences sociales est et sera toujours balbutiante
et imparfaite. Elle n’a pas la prétention de transformer
l’économie, la sociologie et l’histoire en sciences exactes.
Mais en établissant patiemment des faits et des régularités,
et en analysant sereinement les mécanismes économiques,
sociaux, politiques, susceptibles d’en rendre compte, elle peut
faire en sorte que le débat démocratique soit mieux informé
et se focalise sur les bonnes questions. Elle peut contribuer
à redéfinir sans cesse les termes du débat, à démasquer les
certitudes toutes faites et les impostures, à tout remettre toujours
en cause et en question. Tel est, à mon sens, le rôle
que peuvent et doivent jouer les intellectuels, et parmi eux
les chercheurs en sciences sociales, citoyens parmi d’autres,
mais qui ont la chance d’avoir plus de temps que d’autres
pour se consacrer à l’étude (et même d’être payés pour cela
– privilège considérable).
Or, pendant longtemps, force est de constater que les
recherches savantes consacrées à la répartition des richesses se
sont fondées sur relativement peu de faits solidement établis,
et sur beaucoup de spéculations purement théoriques. Avant
d’exposer plus précisément les sources sur lesquelles je me
suis fondé et que j’ai tenté de rassembler dans le cadre de ce
livre, il est utile de dresser un rapide historique des réflexions
sur ces questions.
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
18
Malthus, Young et la Révolution française
Quand naît l’économie politique classique, au Royaume- Uni
et en France, à la fin du xviiie et au début du xixe siècle,
la question de la répartition est déjà au centre de toutes les
analyses. Chacun voit bien que des transformations radicales
ont commencé, avec notamment une croissance démographique
soutenue – inconnue jusqu’alors – et les débuts de
l’exode rural et de la révolution industrielle. Quelles seront
les conséquences de ces bouleversements pour la répartition
des richesses, la structure sociale et l’équilibre politique des
sociétés européennes ?
Pour Thomas Malthus, qui publie en 1798 son Essai sur
le principe de population, aucun doute n’est permis : la surpopulation
est la principale menace 1. Ses sources sont maigres,
mais il tente de les mobiliser au mieux. Il est notamment
influencé par les récits de voyage d’Arthur Young, agronome
anglais qui a sillonné les routes du royaume de France en
1787-1788, à la veille de la Révolution, de Calais aux Pyrénées,
en passant par la Bretagne et la Franche- Comté, et qui
raconte la misère des campagnes françaises.
Tout n’est pas faux dans ce passionnant récit, loin de là. À
l’époque, la France est de loin le pays européen le plus peuplé,
et constitue donc un point d’observation idéal. Autour de
1700, le royaume de France comptait déjà plus de 20 millions
d’habitants, à un moment où le Royaume- Uni comprenait
à peine plus de 8 millions d’âmes (et l’Angleterre environ
5 millions). L’Hexagone voit sa population progresser à un
rythme soutenu tout au long du xviiie siècle, de la fin du
règne de Louis XIV à celui de Louis XVI, à tel point que
1. Thomas Malthus (1766-1834) est un économiste anglais, considéré
comme l’un des plus influents de l’école « classique », aux côtés d’Adam
Smith (1723-1790) et de David Ricardo (1772-1823).
INTRODUCTION
19
la population française s’approche des 30 millions d’habitants
dans les années 1780. Tout laisse à penser que ce dynamisme
démographique, inconnu au cours des siècles précédents, a
effectivement contribué à la stagnation des salaires agricoles
et à la progression de la rente foncière dans les décennies
menant à la déflagration de 1789. Sans en faire la cause
unique de la Révolution française, il paraît évident que cette
évolution n’a pu qu’accroître l’impopularité grandissante de
l’aristocratie et du régime politique en place.
Mais le récit de Young, publié en 1792, est également
empreint de préjugés nationalistes et de comparaisons approximatives.
Notre grand agronome est fort insatisfait des auberges
qu’il traverse et de la tenue des servantes qui lui apportent
à manger, qu’il décrit avec dégoût. Il entend déduire de
ses observations, souvent assez triviales et anecdotiques, des
conséquences pour l’histoire universelle. Il est surtout très
inquiet des excès politiques auxquels la misère des masses
risque de conduire. Young est notamment convaincu que
seul un système politique à l’anglaise, avec Chambres séparées
pour l’aristocratie et le tiers état, et droit de veto pour la
noblesse, permet un développement harmonieux et paisible,
mené par des gens responsables. Il est persuadé que la France
court à sa perte en acceptant en 1789-1790 de faire siéger
les uns et les autres dans un même Parlement. Il n’est pas
exagéré de dire que l’ensemble de son récit est surdéterminé
par sa crainte de la Révolution française. Quand on disserte
sur la répartition des richesses, la politique n’est jamais très
loin, et il est souvent difficile d’échapper aux préjugés et aux
intérêts de classe de son temps.
Quand le révérend Malthus publie en 1798 son fameux
Essai, il est encore plus radical que Young dans ses conclusions.
Il est comme son compatriote très inquiet des nouvelles
politiques venant de France, et pour s’assurer que de tels excès
ne s’étendront pas un jour au Royaume- Uni, il considère
qu’il faut supprimer d’urgence tout système d’assistance aux
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
20
pauvres et contrôler sévèrement la natalité de ces derniers,
faute de quoi le monde entier sombrera dans la surpopulation,
le chaos et la misère. En vérité, il est impossible de
comprendre la noirceur – excessive – des prévisions malthusiennes
sans prendre en compte la peur qui saisit une bonne
part des élites européennes dans les années 1790.
Ricardo : le principe de rareté
Rétrospectivement, il est évidemment aisé de se moquer
de ces prophètes de malheur. Mais il est important de réaliser
que les transformations économiques et sociales en cours à la
fin du xviiie et au début du xixe siècle étaient objectivement
assez impressionnantes, voire traumatisantes. En vérité, la plupart
des observateurs de l’époque – et pas seulement Malthus
et Young – avaient une vision relativement sombre, voire
apocalyptique, de l’évolution à long terme de la répartition
des richesses et de la structure sociale. C’est notamment le
cas de David Ricardo et de Karl Marx, qui sont sans doute
les deux économistes les plus influents du xixe siècle, et
qui s’imaginaient tous deux qu’un petit groupe social – les
propriétaires terriens chez Ricardo, les capitalistes industriels
chez Marx – allait inévitablement s’approprier une part sans
cesse croissante de la production et du revenu 1.
Pour Ricardo, qui publie en 1817 ses Principes de l’économie
politique et de l’impôt, le principal souci concerne l’évolution
à long terme du prix de la terre et du niveau de la rente
foncière. De même que Malthus, il ne dispose pratiquement
1. Il existe bien sûr une école libérale davantage portée sur l’optimisme :
Adam Smith en semble pétri, et à dire vrai ne se pose pas véritablement
la question d’une possible divergence de la répartition des richesses à long
terme. Il en va de même de Jean- Baptiste Say (1767-1832), qui croit lui
aussi dans l’harmonie naturelle.
INTRODUCTION
21
d’aucune source statistique digne de ce nom. Mais cela ne
l’empêche pas d’avoir une connaissance intime du capitalisme
de son temps. Issu d’une famille de financiers juifs d’origine
portugaise, il semble en outre avoir moins de préjugés
politiques que Malthus, Young ou Smith. Il est influencé
par le modèle de Malthus mais pousse le raisonnement plus
loin. Il est surtout intéressé par le paradoxe logique suivant :
à partir du moment où la croissance de la population et
de la production se prolonge durablement, la terre tend à
devenir de plus en plus rare relativement aux autres biens.
La loi de l’offre et de la demande devrait conduire à une
hausse continue du prix de la terre et des loyers versés aux
propriétaires terriens. À terme, ces derniers recevront donc
une part de plus en plus importante du revenu national, et
le reste de la population une part de plus en plus réduite, ce
qui serait destructeur pour l’équilibre social. Pour Ricardo,
la seule issue logiquement et politiquement satisfaisante est
un impôt sans cesse plus lourd sur la rente foncière.
Nous verrons que cette sombre prédiction ne s’est pas
vérifiée : la rente foncière est certes longtemps restée à des
niveaux élevés, mais pour finir la valeur des terres agricoles
a inexorablement décliné relativement aux autres formes de
richesses, au fur et à mesure que le poids de l’agriculture
dans le revenu national diminuait. En écrivant dans les années
1810, Ricardo ne pouvait sans doute pas anticiper l’ampleur
du progrès technique et de la croissance industrielle qui allait
avoir lieu dans le siècle qui s’ouvrait. De même que Malthus
et Young, il ne parvenait pas à imaginer une humanité
totalement affranchie de la contrainte alimentaire et agricole.
Son intuition sur le prix de la terre n’en demeure pas moins
intéressante : le « principe de rareté » sur lequel il s’appuie
peut potentiellement conduire certains prix à prendre des
valeurs extrêmes pendant de longues décennies. Cela peut
être amplement suffisant pour déstabiliser profondément des
sociétés entières. Le système de prix joue un rôle irrempla-
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
22
çable pour coordonner les actions de millions d’individus
– voire de milliards d’individus dans le cadre de la nouvelle
économie-monde. Le problème est qu’il ne connaît ni limite
ni morale.
On aurait bien tort de négliger l’importance de ce principe
pour l’analyse de la répartition mondiale des richesses au
xxie siècle – il suffit pour s’en convaincre de remplacer dans
le modèle de Ricardo le prix des terres agricoles par celui
de l’immobilier urbain dans les grandes capitales, ou bien par
le prix du pétrole. Dans les deux cas, si l’on prolonge pour
la période 2010-2050 ou 2010-2100 la tendance observée
au cours des années 1970-2010, alors on aboutit à des déséquilibres
économiques, sociaux et politiques d’une ampleur
considérable, entre pays comme à l’intérieur des pays, qui
ne sont pas loin de faire penser à l’apocalypse ricardienne.
Certes, il existe en principe un mécanisme économique
fort simple permettant d’équilibrer le processus : le jeu de
l’offre et de la demande. Si un bien est en offre insuffisante
et si son prix est trop élevé, alors la demande pour ce bien
doit baisser, ce qui permettra de calmer le jeu. Autrement
dit, si les prix immobiliers et pétroliers augmentent, il suffit
d’aller habiter à la campagne, ou bien d’utiliser le vélo (ou
les deux à la fois). Mais outre que cela peut être un peu
désagréable et compliqué, un tel ajustement peut prendre
plusieurs dizaines d’années, au cours desquelles les propriétaires
des immeubles et du pétrole peuvent accumuler des créances
tellement importantes vis- à- vis du reste de la population
qu’ils se retrouveront à posséder durablement tout ce qu’il
y a à posséder, y compris la campagne et les vélos 1. Comme
1. L’autre possibilité est bien sûr d’augmenter l’offre, en découvrant
de nouveaux gisements (ou de nouvelles sources d’énergie, si possible plus
propres), ou en densifiant l’habitat urbain (par exemple en construisant des
tours plus hautes), ce qui pose d’autres difficultés. En tout état de cause,
cela peut également prendre des décennies.
INTRODUCTION
23
toujours, le pire n’est jamais certain. Il est beaucoup trop
tôt pour annoncer au lecteur qu’il devra payer son loyer à
l’émir du Qatar d’ici à 2050 : cette question sera examinée
en son temps, et la réponse que nous apporterons sera évidemment
plus nuancée, quoique moyennement rassurante.
Mais il est important de comprendre dès à présent que le
jeu de l’offre et de la demande n’interdit nullement une telle
possibilité, à savoir une divergence majeure et durable de la
répartition des richesses liée à des mouvements extrêmes de
certains prix relatifs. C’est le message principal du principe
de rareté introduit par Ricardo. Nous ne sommes pas obligés
de jouer avec les dés.
Marx : le principe d’accumulation infinie
Quand Marx publie en 1867 le premier tome du Capital,
soit exactement un demi- siècle après la publication des
Principes de Ricardo, les réalités économiques et sociales ont
profondément évolué : il ne s’agit plus de savoir si l’agriculture
pourra nourrir une population croissante ou si le prix de la
terre montera jusqu’au ciel, mais bien plutôt de comprendre
la dynamique d’un capitalisme industriel en plein essor.
Le fait le plus marquant de l’époque est la misère du
prolétariat industriel. En dépit de la croissance, ou peut- être
en partie à cause d’elle, et de l’énorme exode rural que la
progression de la population et de la productivité agricole
a commencé à provoquer, les ouvriers s’entassent dans des
taudis. Les journées de travail sont longues, pour des salaires
très bas. Une nouvelle misère urbaine se développe, plus
visible, plus choquante, et par certains côtés plus extrême
encore que la misère rurale de l’Ancien Régime. Germinal,
Oliver Twist ou Les Misérables ne sont pas nés de l’imagination
des romanciers, pas plus que les lois interdisant le travail
des enfants de moins de 8 ans dans les manufactures – en
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
24
France en 1841 – ou de moins de 10 ans dans les mines – au
Royaume- Uni en 1842. Le Tableau de l’état physique et moral
des ouvriers employés dans les manufactures, publié en France en
1840 par le Dr Villermé et qui inspire la timide législation
de 1841, décrit la même réalité sordide que La Situation de
la classe laborieuse en Angleterre, publié en 1845 par Engels 1.
De fait, toutes les données historiques dont nous disposons
aujourd’hui indiquent qu’il faut attendre la seconde moitié
– ou même plutôt le dernier tiers – du xixe siècle pour
observer une hausse significative du pouvoir d’achat des
salaires. Des années 1800-1810 aux années 1850-1860, les
salaires ouvriers stagnent à des niveaux très faibles – proches de
ceux du xviiie siècle et des siècles précédents, voire inférieurs
dans certains cas. Cette longue phase de stagnation salariale,
que l’on observe aussi bien au Royaume- Uni qu’en France,
est d’autant plus impressionnante que la croissance économique
s’accélère pendant cette période. La part du capital
– profits industriels, rente foncière, loyers urbains – dans le
revenu national, dans la mesure où on peut l’estimer avec
les sources imparfaites dont on dispose aujourd’hui, progresse
fortement dans les deux pays au cours de la première moitié
du xixe siècle 2. Elle diminuera légèrement dans les dernières
décennies du xixe siècle, quand les salaires rattraperont en
partie leur retard de croissance. Les données que nous avons
rassemblées indiquent toutefois qu’aucune diminution structurelle
des inégalités ne se produit avant la Première Guerre
1. Friedrich Engels (1820-1895), qui deviendra ami et collaborateur de
Marx, a une expérience directe de son objet : il s’installe en 1842 à Manchester
et dirige une fabrique possédée par son père.
2. L’historien Robert Allen a récemment proposé de nommer « pause
d’Engels » cette longue stagnation salariale. Voir R. Allen, « Engels’ pause :
a pessimist’s guide to the British industrial revolution », Oxford University,
2007. Voir également R. Allen, « Engels’ pause : technical change, capital
accumulation, and inequality in the British industrial revolution », Explorations
in Economic History, 2009.
INTRODUCTION
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mondiale. Au cours des années 1870-1914, on assiste au mieux
à une stabilisation des inégalités à un niveau extrêmement
élevé, et par certains aspects à une spirale inégalitaire sans fin,
avec en particulier une concentration de plus en plus forte des
patrimoines. Il est bien difficile de dire où aurait mené cette
trajectoire sans les chocs économiques et politiques majeurs
entraînés par la déflagration de 1914-1918, qui apparaissent
à la lumière de l’analyse historique, et avec le recul dont
nous disposons aujourd’hui, comme les seules forces menant
à la réduction des inégalités depuis la révolution industrielle.
Toujours est- il que la prospérité du capital et des profits
industriels, par comparaison à la stagnation des revenus allant
au travail, est une réalité tellement évidente dans les années
1840-1850 que chacun en est parfaitement conscient, même
si personne ne dispose à ce moment de statistiques nationales
représentatives. C’est dans ce contexte que se développent les
premiers mouvements communistes et socialistes. L’interrogation
centrale est simple : à quoi sert le développement de
l’industrie, à quoi servent toutes ces innovations techniques,
tout ce labeur, tous ces exodes, si au bout d’un demi- siècle
de croissance industrielle la situation des masses est toujours
aussi misérable, et si l’on en est réduit à interdire le travail
dans les usines pour les enfants au- dessous de 8 ans ? La
faillite du système économique et politique en place paraît
évidente. La question suivante l’est tout autant : que peut- on
dire de l’évolution à long terme d’un tel système ?
C’est à cette tâche que s’attelle Marx. En 1848, à la veille
du « Printemps des peuples », il avait déjà publié le Manifeste
communiste, texte court et efficace qui débute par le fameux
« Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme 1 »
1. Et la première phrase de se poursuivre ainsi : « Toutes les puissances
de la vieille Europe se sont unies en une Sainte- Alliance pour traquer ce
spectre : le pape et le tsar, Metternich et Guizot, les radicaux de France et
les policiers d’Allemagne. » Le talent littéraire et polémique de Karl Marx
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
26
et se termine par la non moins fameuse prédiction révolutionnaire
: « Le développement de la grande industrie sape,
sous les pieds de la bourgeoisie, le terrain même sur lequel
elle a établi son système de production et d’appropriation.
Avant tout, la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. Sa
chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables. »
Dans les deux décennies qui vont suivre, Marx va s’appliquer
à écrire le volumineux traité qui devait justifier cette
conclusion et fonder l’analyse scientifique du capitalisme et
de son effondrement. Cette oeuvre restera inachevée : le
premier tome du Capital est publié en 1867, mais Marx
s’éteint en 1883 sans avoir terminé les deux tomes suivants,
qui seront publiés après sa mort par son ami Engels, à partir
des fragments de manuscrits parfois obscurs qu’il a laissés.
Comme Ricardo, Marx entend asseoir son travail sur
l’analyse des contradictions logiques internes du système capitaliste.
Il entend ainsi se distinguer à la fois des économistes
bourgeois (qui voient dans le marché un système autorégulé,
c’est- à- dire capable de s’équilibrer tout seul, sans divergence
majeure, à l’image de la « main invisible » de Smith et de
la « loi des débouchés » de Say), et des socialistes utopiques
ou proudhoniens, qui selon lui se contentent de dénoncer la
misère ouvrière, sans proposer d’étude véritablement scientifique
des processus économiques à l’oeuvre 1. Pour résumer,
Marx part du modèle ricardien du prix du capital et du principe
de rareté, et pousse plus loin l’analyse de la dynamique
du capital, en considérant un monde où le capital est avant
tout industriel (machines, équipements, etc.) et non terrien,
et peut donc potentiellement s’accumuler sans limite. De
(1818-1883), philosophe et économiste allemand, explique sans doute une
part de son immense influence.
1. Marx avait publié en 1847 Misère de la philosophie, livre dans lequel
il tourne en dérision la Philosophie de la misère publiée quelques années plus
tôt par Proudhon.
INTRODUCTION
27
fait, sa principale conclusion est ce que l’on peut appeler le
« principe d’accumulation infinie », c’est- à- dire la tendance
inévitable du capital à s’accumuler et à se concentrer dans
des proportions infinies, sans limite naturelle – d’où l’issue
apocalyptique prévue par Marx : soit l’on assiste à une baisse
tendancielle du taux de rendement du capital (ce qui tue le
moteur de l’accumulation et peut conduire les capitalistes à
s’entre- déchirer), soit la part du capital dans le revenu national
s’accroît indéfiniment (ce qui conduit à plus ou moins
brève échéance les travailleurs à s’unir et à se révolter). Dans
tous les cas, aucun équilibre socio- économique ou politique
stable n’est possible.
Ce noir destin ne s’est pas davantage réalisé que celui
prévu par Ricardo. À partir du dernier tiers du xixe siècle,
les salaires se sont enfin mis à progresser : l’amélioration du
pouvoir d’achat se généralise, ce qui change radicalement la
donne, même si les inégalités demeurent extrêmement fortes
et continuent par certains aspects de progresser jusqu’à la
Première Guerre mondiale. La révolution communiste a bien
eu lieu, mais dans le pays le plus attardé d’Europe, celui où
la révolution industrielle avait à peine commencé (la Russie),
pendant que les pays européens les plus avancés exploraient
d’autres voies, sociales- démocrates, fort heureusement pour
leurs populations. De même que les auteurs précédents, Marx
a totalement négligé la possibilité d’un progrès technique
durable et d’une croissance continue de la productivité, force
dont nous verrons qu’elle permet d’équilibrer – dans une
certaine mesure – le processus d’accumulation et de concentration
croissante du capital privé. Sans doute manquait- il de
données statistiques pour affiner ses prédictions. Sans doute
aussi est- il victime du fait qu’il avait fixé ses conclusions dès
1848, avant même d’entreprendre les recherches susceptibles
de les justifier. De toute évidence, Marx écrivait dans un
climat de grande exaltation politique, ce qui conduit parfois
à des raccourcis hâtifs auxquels il est difficile d’échapper
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
28
– d’où l’absolue nécessité de rattacher le discours théorique
à des sources historiques aussi complètes que possible, ce que
Marx ne cherche pas véritablement à faire autant qu’il aurait
pu 1. Sans compter que Marx ne s’est guère posé la question
de l’organisation politique et économique d’une société où
la propriété privée du capital aurait été entièrement abolie
– problème complexe s’il en est, comme le montrent les
dramatiques improvisations totalitaires des régimes qui s’y
sont engagés.
Nous verrons cependant que, malgré toutes ses limites,
l’analyse marxiste conserve sur plusieurs points une certaine
pertinence. Tout d’abord, Marx part d’une vraie question
(une invraisemblable concentration des richesses pendant la
révolution industrielle) et tente d’y répondre, avec les moyens
dont il dispose : voici une démarche dont les économistes
d’aujourd’hui feraient bien de s’inspirer. Ensuite et surtout,
le principe d’accumulation infinie défendu par Marx contient
une intuition fondamentale pour l’analyse du xxie comme du
xixe siècle, et plus inquiétante encore d’une certaine façon
que le principe de rareté cher à Ricardo. Dès lors que le
taux de croissance de la population et de la productivité
est relativement faible, les patrimoines accumulés dans le
passé prennent naturellement une importance considérable,
potentiellement démesurée et déstabilisatrice pour les sociétés
concernées. Autrement dit, une croissance faible ne permet
d’équilibrer que faiblement le principe marxiste d’accumulation
infinie : il en résulte un équilibre qui n’est pas aussi
apocalyptique que celui prévu par Marx, mais qui n’en est
1. Nous reviendrons dans le chapitre 6 sur les relations que Marx entretient
avec les statistiques. Pour résumer : Marx tente parfois de mobiliser au
mieux l’appareil statistique de son temps (qui a fait quelques progrès depuis
l’époque de Malthus et de Ricardo, tout en restant objectivement assez
rudimentaire), mais le plus souvent de façon relativement impressionniste,
sans que le lien avec ses développements théoriques soit toujours établi très
clairement.
INTRODUCTION
29
pas moins assez perturbant. L’accumulation s’arrête à un point
fini, mais ce point peut être extrêmement élevé et déstabilisant.
Nous verrons que la très forte hausse de la valeur
totale des patrimoines privés, mesurée en années de revenu
national, que l’on constate depuis les années 1970-1980 dans
l’ensemble des pays riches – particulièrement en Europe et
au Japon –, relève directement de cette logique.
De Marx à Kuznets : de l’apocalypse au conte de fées
En passant des analyses de Ricardo et de Marx au xixe siècle
à celles de Simon Kuznets au xxe siècle, on peut dire que
la recherche économique est passée d’un goût prononcé – et
sans doute excessif – pour les prédictions apocalyptiques à
une attirance non moins excessive pour les contes de fées, ou
à tout le moins pour les « happy ends ». Selon la théorie de
Kuznets, les inégalités de revenus sont en effet spontanément
appelées à diminuer dans les phases avancées du développement
capitaliste, quelles que soient les politiques suivies ou
les caractéristiques du pays, puis à se stabiliser à un niveau
acceptable. Proposée en 1955, il s’agit véritablement d’une
théorie pour le monde enchanté des « Trente Glorieuses » :
il suffit d’être patient et d’attendre un peu pour que la
croissance bénéficie à tous 1. Une expression anglo- saxonne
résume fidèlement la philosophie du moment : « Growth is
a rising tide that lifts all boats » (« La croissance est une vague
montante qui porte tous les bateaux »). Il faut aussi rapprocher
ce moment optimiste de l’analyse par Robert Solow en
1. S. Kuznets, « Economic growth and income inequality », The American
Economic Review, 1955. Les Trente Glorieuses sont le nom souvent
donné – surtout en Europe continentale – aux trois décennies suivant la
Seconde Guerre mondiale, caractérisées par une croissance particulièrement
forte (nous y reviendrons).
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
30
1956 des conditions d’un « sentier de croissance équilibré »,
c’est- à- dire une trajectoire de croissance où toutes les grandeurs
– production, revenus, profits, salaires, capital, cours
boursiers et immobiliers, etc. – progressent au même rythme,
si bien que chaque groupe social bénéficie de la croissance
dans les mêmes proportions, sans divergence majeure 1. C’est
le contraire absolu de la spirale inégalitaire ricardienne ou
marxiste et des analyses apocalyptiques du xixe siècle.
Pour bien comprendre l’influence considérable de la théorie
de Kuznets, au moins jusqu’aux années 1980-1990, et dans
une certaine mesure jusqu’à nos jours, il faut insister sur le
fait qu’il s’agit de la première théorie dans ce domaine qui
s’appuie sur un travail statistique approfondi. De fait, il faut
attendre le milieu du xxe siècle pour que soient enfin établies
les premières séries historiques sur la répartition des revenus,
avec la publication en 1953 de l’ouvrage monumental
consacré par Kuznets à La Part des hauts revenus dans le revenu
et l’épargne. Concrètement, les séries de Kuznets ne portent
que sur un seul pays (les États- Unis), et sur une période de
trente- cinq années (1913-1948). Il s’agit cependant d’une
contribution majeure, qui mobilise deux sources de données
totalement inaccessibles aux auteurs du xixe siècle : d’une
part, les déclarations de revenus issues de l’impôt fédéral sur
le revenu créé aux États- Unis en 1913 ; d’autre part, les
estimations du revenu national des États- Unis, établies par
le même Kuznets quelques années plus tôt. C’est la toute
première fois qu’une tentative aussi ambitieuse de mesure de
l’inégalité d’une société voit le jour 2.
1. R. Solow, « A contribution to the theory of economic growth »,
Quarterly Journal of Economics, 1956.
2. Voir S. Kuznets, Shares of Upper Income Groups in Income and Savings,
NBER, 1953. Simon Kuznets est un économiste américain, né en Ukraine
en 1901, installé aux États- Unis à partir de 1922, étudiant à Columbia,
puis professeur à Harvard ; il décède en 1985. Il est à la fois l’auteur des
INTRODUCTION
31
Il est important de bien comprendre que sans ces deux
sources indispensables et complémentaires il est tout simplement
impossible de mesurer l’inégalité de la répartition des
revenus et son évolution. Les premières tentatives d’estimation
du revenu national datent certes de la fin du xviie et du
début du xviiie siècle, au Royaume- Uni comme en France,
et elles se sont multipliées au cours du xixe. Mais il s’agit
toujours d’estimations isolées : il faut attendre le xxe siècle et
la période de l’entre- deux- guerres pour que se développent,
à l’initiative de chercheurs comme Kuznets et Kendrick aux
États- Unis, Bowley et Clark au Royaume- Uni, ou Dugé
de Bernonville en France, les premières séries annuelles de
revenu national. Cette première source permet de mesurer
le revenu total du pays. Pour mesurer les hauts revenus et
leur part dans le revenu national, encore faut- il disposer de
déclarations de revenus : cette seconde source est fournie,
dans tous les pays, par l’impôt progressif sur le revenu global,
créé un peu partout autour de la Première Guerre mondiale
(1913 aux États- Unis, 1914 en France, 1909 au Royaume-
Uni, 1922 en Inde, 1932 en Argentine) 1.
Il est essentiel de réaliser qu’en l’absence d’impôt sur le
revenu il existe certes toutes sortes de statistiques portant sur
les assiettes fiscales en vigueur (par exemple sur la répartition
du nombre de portes et fenêtres par département dans la
France du xixe siècle, ce qui n’est d’ailleurs pas sans intérêt),
mais il n’existe rien sur les revenus. D’ailleurs, les personnes
concernées ne connaissent souvent pas bien leur propre revenu
tant qu’elles n’ont pas à le déclarer. Il en va de même pour
l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le patrimoine. L’impôt
premiers comptes nationaux américains et des premières séries historiques
sur les inégalités.
1. Les déclarations de revenus ne concernant souvent qu’une partie de la
population et des revenus, il est essentiel de disposer également des comptes
nationaux pour mesurer le total des revenus.
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
32
n’est pas seulement une façon de mettre à contribution les
uns et les autres pour le financement des charges publiques
et des projets communs, et de répartir ces contributions de
la manière le plus acceptable possible ; il est aussi une façon
de produire des catégories, de la connaissance et de la transparence
démocratique.
Toujours est- il que ces données permettent à Kuznets de
calculer l’évolution de la part dans le revenu national américain
des différents déciles et centiles supérieurs de la hiérarchie des
revenus. Or que trouve- t-il ? Il constate qu’une forte réduction
des inégalités de revenus a eu lieu aux États- Unis entre 1913
et 1948. Concrètement, dans les années 1910-1920, le décile
supérieur de la répartition, c’est- à- dire les 10 % des Américains
les plus riches, recevait chaque année jusqu’à 45 %- 50 %
du revenu national. À la fin des années 1940, la part de ce
même décile supérieur est passée à environ 30 %- 35 % du
revenu national. La baisse, supérieure à dix points de revenu
national, est considérable : elle est équivalente par exemple
à la moitié de ce que reçoivent les 50 % des Américains
les plus pauvres 1. La réduction des inégalités est nette et
incontestable. La nouvelle a une importance considérable,
et aura un impact énorme dans les débats économiques de
l’après- guerre, aussi bien dans les universités que dans les
organisations internationales.
Voici des décennies que Malthus, Ricardo, Marx et tant
d’autres parlaient des inégalités, mais sans apporter la moindre
source, la moindre méthode permettant de comparer précisément
les différentes époques, et donc de départager les
différentes hypothèses. Pour la première fois, une base objective
est proposée. Elle est bien sûr imparfaite. Mais elle a le
1. Dit autrement, les classes populaires et moyennes, que l’on peut
définir comme les 90 % des Américains les plus pauvres, ont vu leur part
dans le revenu national s’accroître nettement : de 50 %- 55 % dans les années
1910-1920 à 65 %- 70 % à la fin des années 1940.
INTRODUCTION
33
mérite d’exister. En outre, le travail réalisé est extrêmement
bien documenté : l’épais volume publié par Kuznets en 1953
expose de la façon le plus transparente possible tous les détails
sur ses sources et ses méthodes, de manière que chaque calcul
puisse être reproduit. Et, de surcroît, Kuznets apporte une
bonne nouvelle : les inégalités se réduisent.
La courbe de Kuznets : une bonne nouvelle
au temps de la guerre froide
À dire vrai, Kuznets lui- même est parfaitement conscient
du caractère largement accidentel de cette compression des
hauts revenus américains entre 1913 et 1948, qui doit beaucoup
aux multiples chocs entraînés par la crise des années
1930 et la Seconde Guerre mondiale, et n’a pas grand- chose
à voir avec un processus naturel et spontané. Dans son épais
volume publié en 1953, Kuznets analyse ses séries dans le
détail et met en garde le lecteur contre toute généralisation
hâtive. Mais en décembre 1954, dans le cadre de la conférence
qu’il donne comme président de l’American Economic
Association réunie en congrès à Detroit, il choisit de proposer
à ses collègues une interprétation beaucoup plus optimiste
des résultats de son livre de 1953. C’est cette conférence,
publiée en 1955 sous le titre « Croissance économique et
inégalité du revenu », qui va donner naissance à la théorie
de la « courbe de Kuznets ».
Selon cette théorie, les inégalités seraient partout appelées à
suivre une « courbe en cloche », c’est- à- dire d’abord croissante
puis décroissante, au cours du processus d’industrialisation
et de développement économique. D’après Kuznets, à une
phase de croissance naturelle des inégalités caractéristique des
premières étapes de l’industrialisation, et qui aux États- Unis
correspondrait grosso modo au xixe siècle, succéderait une
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
34
phase de forte diminution des inégalités, qui aux États- Unis
aurait commencé au cours de la première moitié du xxe siècle.
La lecture de ce texte de 1955 est éclairante. Après avoir
rappelé toutes les raisons d’être prudent, et l’importance
évidente des chocs exogènes dans la baisse récente des inégalités
américaines, Kuznets suggère, de façon presque anodine,
que la logique interne du développement économique,
indépendamment de toute intervention politique et de tout
choc extérieur, pourrait également conduire au même résultat.
L’idée serait que les inégalités s’accroissent au cours des
premières phases de l’industrialisation (seule une minorité
est à même de bénéficier des nouvelles richesses apportées
par l’industrialisation), avant de se mettre spontanément à
diminuer lors des phases avancées du développement (une
fraction de plus en plus importante de la population rejoint
les secteurs les plus porteurs, d’où une réduction spontanée
des inégalités 1).
Ces « phases avancées » auraient commencé à la fin du xixe
ou au début du xxe siècle dans les pays industrialisés, et la
compression des inégalités survenue aux États- Unis au cours
des années 1913-1948 ne ferait donc que témoigner d’un
phénomène plus général, que tous les pays, y compris les pays
sous- développés présentement empêtrés dans la pauvreté et la
décolonisation, devraient en principe être amenés à connaître
1. Voir S. Kuznets, « Economic growth and income inequality », art.
cité, p. 12-18. Cette courbe est parfois appelée « courbe en U inversé »
(« inverted- U- curve »). Le mécanisme spécifique décrit par Kuznets repose
sur l’idée d’un transfert progressif de la population d’un secteur agricole
pauvre vers un secteur industriel riche (seule une minorité commence par
bénéficier des richesses du secteur industriel, d’où un accroissement des
inégalités, puis tout le monde en bénéficie, d’où la réduction des inégalités),
mais il va de soi que ce mécanisme hautement stylisé peut prendre une
forme plus générale (par exemple sous la forme de transferts progressifs de
main- d’oeuvre entre différents secteurs industriels ou différents emplois plus
ou moins porteurs, etc.).
INTRODUCTION
35
un jour ou l’autre. Les faits mis en évidence par Kuznets dans
son livre de 1953 deviennent subitement une arme politique
de grande puissance 1. Kuznets est parfaitement conscient du
caractère hautement spéculatif d’une telle théorie 2. Il reste
qu’en présentant une théorie aussi optimiste dans le cadre de
sa « Presidential address » aux économistes américains, qui étaient
tout disposés à croire et à diffuser la bonne nouvelle apportée
par leur prestigieux confrère, Kuznets savait qu’il aurait une
influence énorme : la « courbe de Kuznets » était née. Afin
de s’assurer que tout le monde avait bien compris de quoi
il était question, Kuznets prit d’ailleurs soin de préciser que
l’enjeu de ses prédictions optimistes était tout simplement le
maintien des pays sous- développés « dans l’orbite du monde
libre 3 ». Dans une très large mesure, la théorie de la « courbe
de Kuznets » est le produit de la guerre froide.
Que l’on me comprenne bien : le travail réalisé par Kuznets
pour établir les premiers comptes nationaux américains
et les premières séries historiques sur les inégalités est tout
à fait considérable, et il est évident à la lecture de ses livres
– davantage que de ses articles – que Kuznets avait une
véritable éthique de chercheur. Par ailleurs, la très forte
croissance que connaissent tous les pays développés dans
l’après- guerre est un événement fondamental, et le fait que
tous les groupes sociaux en aient bénéficié l’est encore plus. Il
est bien normal qu’un certain optimisme ait prévalu pendant
les Trente Glorieuses et que les prédictions apocalyptiques du
1. Il est intéressant de noter que Kuznets n’a pas de série démontrant la
hausse des inégalités au xixe siècle, mais que cela lui semble une évidence
(comme à la plupart des observateurs de l’époque).
2. Comme il le précise lui- même : « This is perhaps 5 per cent empirical
information and 95 per cent speculation, some of it possibly tainted by wishful
thinking. » Ibid., p. 24-26.
3. « The future prospect of underdevelopped countries within the orbit of the free
world. » Ibid., p. 26.
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
36
xixe siècle sur la dynamique de la répartition des richesses
aient perdu en popularité.
Il n’en reste pas moins que la théorie enchantée de la
« courbe de Kuznets » a été formulée en grande partie pour
de mauvaises raisons, et que son soubassement empirique est
extrêmement fragile. Nous verrons que la forte réduction
des inégalités de revenus qui se produit un peu partout dans
les pays riches entre 1914 et 1945 est avant tout le produit
des guerres mondiales et des violents chocs économiques et
politiques qu’elles ont entraînés (notamment pour les détenteurs
de patrimoines importants), et n’a pas grand- chose à
voir avec le paisible processus de mobilité intersectorielle
décrit par Kuznets.
Remettre la question de la répartition
au coeur de l’analyse économique
La question est importante, et pas seulement pour des raisons
historiques. Depuis les années 1970, les inégalités sont
fortement reparties à la hausse dans les pays riches, notamment
aux États- Unis, où la concentration des revenus a retrouvé
dans les années 2000-2010 – voire légèrement dépassé – le
niveau record des années 1910-1920 : il est donc essentiel de
bien comprendre pourquoi et comment les inégalités avaient
diminué la première fois. Certes, la très forte croissance des
pays pauvres et émergents, et notamment de la Chine, est
potentiellement une puissante force de réduction des inégalités
au niveau mondial, de même que la croissance des pays riches
pendant les Trente Glorieuses. Mais ce processus génère de fortes
inquiétudes au sein des pays émergents, et plus encore au sein
des pays riches. Par ailleurs, les impressionnants déséquilibres
observés ces dernières décennies sur les marchés financiers,
pétroliers et immobiliers peuvent assez naturellement susciter des
doutes quant au caractère inéluctable du « sentier de croissance
INTRODUCTION
37
équilibré » décrit par Solow et Kuznets, et selon lequel tout
est censé progresser au même rythme. Le monde de 2050 ou
de 2100 sera- t-il possédé par les traders, les super- cadres et
les détenteurs de patrimoines importants, ou bien par les pays
pétroliers, ou encore par la Banque de Chine, à moins que ce
ne soit par des paradis fiscaux abritant d’une façon ou d’une
autre l’ensemble de ces acteurs ? Il serait absurde de ne pas se
poser la question et de supposer par principe que la croissance
est naturellement « équilibrée » à long terme.
D’une certaine façon, nous sommes en ce début de xxie siècle
dans la même situation que les observateurs du xixe : nous
assistons à d’impressionnantes transformations, et il est bien
difficile de savoir jusqu’où elles peuvent aller, et à quoi ressemblera
la répartition mondiale des richesses, entre les pays
comme à l’intérieur des pays, à l’horizon de quelques décennies.
Les économistes du xixe siècle avaient un immense mérite :
ils plaçaient la question de la répartition au coeur de l’analyse,
et ils cherchaient à étudier les tendances de long terme. Leurs
réponses n’étaient pas toujours satisfaisantes – mais au moins se
posaient- ils les bonnes questions. Nous n’avons dans le fond
aucune raison de croire dans le caractère autoéquilibré de la
croissance. Il est plus que temps de remettre la question des
inégalités au coeur de l’analyse économique et de reposer les
questions ouvertes au xixe siècle. Pendant trop longtemps,
la question de la répartition des richesses a été négligée par
les économistes, en partie du fait des conclusions optimistes
de Kuznets, et en partie à cause d’un goût excessif de la
profession pour les modèles mathématiques simplistes dits « à
agent représentatif 1 ». Et pour remettre la répartition au coeur
1. Dans ces modèles, qui se sont imposés dans la recherche comme dans
l’enseignement de l’économie depuis les années 1960-1970, on suppose par
construction que chacun reçoit le même salaire, possède le même patrimoine
et dispose des mêmes revenus, si bien que par définition la croissance
bénéficie dans les mêmes proportions à tous les groupes sociaux. Une telle
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
38
de l’analyse, il faut commencer par rassembler le maximum
de données historiques permettant de mieux comprendre
les évolutions du passé et les tendances en cours. Car c’est
d’abord en établissant patiemment des faits et des régularités,
et en confrontant les expériences des différents pays, que nous
pouvons espérer mieux cerner les mécanismes en jeu et nous
éclairer pour l’avenir.
Les sources utilisées dans ce livre
Ce livre s’appuie sur deux grands types de sources permettant
d’étudier la dynamique historique de la répartition des
richesses : les unes portant sur les revenus et l’inégalité de
leur répartition ; et les autres portant sur les patrimoines, leur
répartition, et le rapport qu’ils entretiennent avec les revenus.
Commençons par les revenus. Dans une large mesure, mon
travail a simplement consisté à étendre à une échelle spatiale et
temporelle plus vaste le travail novateur et pionnier réalisé par
Kuznets pour mesurer l’évolution de l’inégalité des revenus aux
États- Unis de 1913 à 1948. Cette extension permet de mieux
mettre en perspective les évolutions constatées par Kuznets (qui
sont bien réelles) et conduit à remettre radicalement en cause
le lien optimiste qu’il établit entre développement économique
et répartition des richesses. Étrangement, le travail de Kuznets
n’avait jamais été poursuivi de façon systématique, sans doute
en partie parce que l’exploitation historique et statistique de
la source fiscale tombe dans une sorte de « no man’s land »
académique, trop historique pour les économistes, et trop économique
pour les historiens. Cela est dommage, car seule une
perspective de long terme permet d’analyser correctement la
simplification de la réalité peut se justifier pour étudier certains problèmes
très spécifiques, mais limite évidemment de façon drastique l’ensemble des
questions économiques que l’on peut se poser.
INTRODUCTION
39
dynamique des inégalités de revenus, et seule la source fiscale
permet d’adopter cette perspective de long terme 1.
J’ai commencé par étendre les méthodes de Kuznets au
cas de la France, ce qui a donné lieu à la publication d’un
premier ouvrage en 2001 2. J’ai eu ensuite la chance de
bénéficier du soutien de nombreux collègues – au premier
rang desquels Anthony Atkinson et Emmanuel Saez –, qui
m’ont permis d’étendre ce projet à une échelle internationale
beaucoup plus vaste. Anthony Atkinson a traité du cas du
Royaume- Uni et de nombreux autres pays, et nous avons
dirigé ensemble deux volumes publiés en 2007 et 2010
rassemblant des études similaires portant sur plus de vingt
pays, répartis sur tous les continents 3. Avec Emmanuel Saez,
nous avons prolongé d’un demi- siècle les séries établies par
Kuznets pour les États- Unis 4, et il a lui- même traité de plusieurs
autres pays essentiels, comme le Canada et le Japon.
De nombreux chercheurs ont contribué à ce projet collectif :
Facundo Alvaredo a notamment traité du cas de l’Argentine,
de l’Espagne et du Portugal ; Fabien Dell de celui de l’Allemagne
et de la Suisse ; avec Abhijit Banerjee, j’ai étudié le
1. Les enquêtes sur les revenus et les budgets des ménages réalisées par
les instituts statistiques débutent rarement avant les années 1970-1980, et
elles tendent à sous- estimer gravement les hauts revenus, ce qui est problématique,
dans la mesure où le décile supérieur détient souvent jusqu’à la
moitié du revenu national. Malgré ses limites, la source fiscale fait mieux
apparaître les hauts revenus et permet de remonter un siècle en arrière.
2. Voir T. Piketty, Les Hauts Revenus en France au XXe siècle : inégalités
et redistributions 1901-1998, Grasset, 2001. Pour une version résumée, voir
également « Income inequality in France, 1901-1998 », Journal of Political
Economy, 2003.
3. Voir A. Atkinson et T. Piketty, Top Incomes over the 20th Century :
A Contrast Between Continental- European and English- Speaking Countries,
Oxford University Press, 2007 ; Top Incomes : A Global Perspective, Oxford
University Press, 2010.
4. Voir T. Piketty et E. Saez, « Income inequality in the United States,
1913-1998 », The Quarterly Journal of Economics, 2003.
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
40
cas de l’Inde ; grâce à Nancy Qian, j’ai pu traiter celui de
la Chine ; et ainsi de suite 1.
Pour chaque pays, nous avons tenté d’utiliser les mêmes
sources, les mêmes méthodes et les mêmes concepts : les
déciles et les centiles de hauts revenus sont estimés à partir
des données fiscales issues des déclarations de revenus (après
de multiples corrections pour assurer l’homogénéité temporelle
et spatiale des données et des concepts) ; le revenu national
et le revenu moyen nous sont donnés par les comptes
nationaux, qu’il a fallu parfois compléter ou prolonger. Les
séries débutent généralement à la date de création de l’impôt
sur le revenu (autour de 1910-1920 dans de nombreux pays,
parfois dans les années 1880-1890, comme au Japon ou en
Allemagne, parfois plus tard). Elles sont constamment mises
à jour et vont actuellement jusqu’au début des années 2010.
Au final, la World Top Incomes Database (WTID), issue
du travail combiné d’une trentaine de chercheurs de par le
monde, constitue la plus vaste base de données historiques
disponible à ce jour sur l’évolution des inégalités de revenus,
et correspond au premier ensemble de sources mobilisé dans
ce livre 2.
Le second ensemble de sources, que je mobiliserai en réalité
en premier dans le cadre de ce livre, concerne les patrimoines,
leur répartition et les rapports qu’ils entretiennent avec les
1. Les références bibliographiques complètes sont disponibles en ligne
dans l’annexe technique. Voir également l’article de synthèse suivant :
A. Atkinson, T. Piketty et E. Saez, « Top incomes in the long- run of
history », Journal of Economic Literature, 2011.
2. Nous ne pourrons évidemment traiter de façon détaillée du cas de
chaque pays dans le cadre de ce livre, qui propose une synthèse d’ensemble.
Nous renvoyons le lecteur intéressé aux séries complètes disponibles en ligne
sur le site de la WTID (voir http://topincomes.parisschoolofeconomics.eu)
et dans les ouvrages et articles techniques indiqués plus haut. De nombreux
textes et documents sont également disponibles dans l’annexe technique du
livre : voir http://piketty.pse.ens.fr/capital21c.
INTRODUCTION
41
revenus. Les patrimoines jouent déjà un rôle important dans
le premier ensemble de sources, à travers les revenus issus
des patrimoines. Rappelons en effet que le revenu comprend
toujours deux composantes, d’une part les revenus du travail
(salaires, traitements, primes, bonus, revenus du travail non
salarié, etc., et autres revenus rémunérant le travail, quelle que
soit leur forme juridique précise), et d’autre part les revenus
du capital (loyers, dividendes, intérêts, bénéfices, plus- values,
royalties, etc., et autres revenus obtenus du simple fait de la
détention d’un capital terrien, immobilier, financier, industriel,
etc., quelle que soit là aussi leur forme légale). Les données
issues de la WTID contiennent beaucoup d’informations sur
l’évolution des revenus du capital au cours du xxe siècle. Il
est cependant indispensable de les compléter par des sources
portant directement sur les patrimoines. On peut distinguer
ici trois sous- ensembles de sources historiques et d’approches
méthodologiques, tout à fait complémentaires les unes des
autres 1.
Tout d’abord, de la même façon que les déclarations de
revenus issues des impôts sur les revenus permettent d’étudier
l’évolution de l’inégalité des revenus, les déclarations de
successions issues des impôts sur les successions permettent
d’étudier l’évolution de l’inégalité des patrimoines 2. Cette
approche a d’abord été introduite par Robert Lampman en
1962 pour étudier l’évolution des inégalités patrimoniales aux
États- Unis de 1922 à 1956, puis par Anthony Atkinson et
Alan Harrison en 1978 pour étudier le cas du Royaume-
1. La WTID est actuellement en cours de transformation en une « World
Wealth and Income Database » (WWID) intégrant ces trois sous- ensembles
de données complémentaires. Nous présentons dans le présent livre les
principaux éléments actuellement disponibles.
2. On peut aussi utiliser les déclarations de patrimoines issues des impôts
annuels sur le patrimoine des vivants, mais ces données sont plus rares que
les données successorales sur la longue durée.
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
42
Uni de 1923 à 1972 1. Ces travaux ont récemment été mis à
jour et étendus à d’autres pays, comme la France et la Suède.
Nous disposons malheureusement de moins de pays que pour
les inégalités de revenus. Mais il est possible, dans certains
cas, de remonter beaucoup plus loin dans le temps, souvent
jusqu’au début du xixe siècle, car la fiscalité successorale est
beaucoup plus ancienne que la fiscalité des revenus. En particulier,
nous avons pu, en rassemblant les données établies
aux différentes époques par l’administration française, et en
collectant avec Gilles Postel- Vinay et Jean- Laurent Rosenthal
un vaste ensemble de déclarations individuelles dans les
archives successorales, établir des séries homogènes sur la
concentration des patrimoines en France depuis l’époque de
la Révolution 2. Cela nous permettra de replacer les chocs
causés par la Première Guerre mondiale dans une perspective
historique beaucoup plus longue que les séries portant sur les
inégalités de revenus (qui fort malencontreusement débutent
souvent autour de 1910-1920). Les travaux réalisés par Jesper
Roine et Daniel Waldenström à partir des sources historiques
suédoises sont également riches d’enseignements 3.
Les sources successorales et patrimoniales nous permettent
également d’étudier l’évolution de l’importance respective
de l’héritage et de l’épargne dans la constitution des patrimoines
dans la dynamique des inégalités patrimoniales. Nous
avons réalisé ce travail de façon relativement complète pour
1. Voir les ouvrages pionniers suivants : R. J. Lampman, The Share of
Top Wealth- Holders in National Wealth, 1922-1956, Princeton University
Press, 1962 ; A. B. Atkinson and A. J. Harrison, Distribution of Personal
Wealth in Britain, 1923-1972, Cambridge University Press, 1978.
2. Voir T. Piketty, G. Postel- Vinay et J.-L. Rosenthal, « Wealth
concentration in a developing economy : Paris and France 1807-1994 »,
American Economic Review, 2006.
3. Voir J. Roine et D. Waldenström, « Wealth concentration over
the path of development : Sweden, 1873-2006 », Scandinavian Journal of
Economics, 2009.
INTRODUCTION
43
le cas de la France, dont les très riches sources historiques
offrent un point de vue unique sur l’évolution de l’héritage
sur la longue durée 1. Ce travail a été partiellement étendu
à d’autres pays, en particulier au Royaume- Uni, à l’Allemagne,
à la Suède et aux États- Unis. Ces matériaux jouent
un rôle essentiel dans notre enquête, car les inégalités patrimoniales
n’ont pas le même sens suivant qu’elles sont issues
de l’héritage légué par les générations précédentes, ou bien
de l’épargne réalisée au cours d’une vie. Dans le cadre de
ce livre, nous nous intéressons non seulement au niveau de
l’inégalité en tant que telle, mais également et surtout à la
structure des inégalités, c’est- à- dire à l’origine des disparités
de revenus et de patrimoines entre groupes sociaux, et aux
différents systèmes de justifications économiques, sociales,
morales et politiques susceptibles de les conforter ou de les
condamner. L’inégalité n’est pas nécessairement mauvaise en
soi : la question centrale est de savoir si elle est justifiée, si
elle a ses raisons.
Enfin, les sources patrimoniales permettent d’étudier sur
très longue période l’évolution de la valeur totale du stock
de patrimoine national (qu’il s’agisse du capital terrien, immobilier,
industriel ou financier), mesuré en nombre d’années
de revenu national du pays considéré. L’étude de ce rapport
capital/revenu au niveau global est un exercice qui a ses
limites – il est toujours préférable d’analyser également l’inégalité
des patrimoines au niveau individuel, et l’importance
relative de l’héritage et de l’épargne dans la constitution
du capital –, mais qui permet toutefois d’analyser de façon
synthétique l’importance du capital au niveau d’une société
considérée dans son ensemble. En outre, nous verrons qu’il
est possible, en rassemblant et en confrontant les estimations
1. Voir T. Piketty, « On the long- run evolution of inheritance : France
1820-2050 », École d’économie de Paris, 2010 (version résumée publiée
dans Quarterly Journal of Economics, 2011).
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
44
réalisées aux différentes époques, de remonter pour certains
pays – en particulier le Royaume- Uni et la France – jusqu’au
début du xviiie siècle, ce qui nous permettra de replacer la
révolution industrielle en perspective dans l’histoire du capital.
Nous nous appuierons ici sur les données historiques que
nous avons récemment rassemblées avec Gabriel Zucman 1.
Dans une large mesure, cette recherche consiste simplement
à étendre et à généraliser le travail de collecte de bilans
patrimoniaux par pays (« country balance sheets ») réalisé par
Raymond Goldsmith dans les années 1970-1980 2.
Par comparaison aux travaux antérieurs, la première nouveauté
de la démarche développée ici est d’avoir cherché à rassembler
des sources historiques aussi complètes et systématiques
que possible afin d’étudier la dynamique de la répartition des
richesses. Il faut souligner que j’ai bénéficié pour cela d’un
double avantage par rapport aux auteurs précédents : nous
disposons par définition d’un recul historique plus important
(or nous verrons que certaines évolutions longues n’apparaissent
clairement que si l’on dispose de données portant sur les années
2000-2010, tant il est vrai que certains chocs causés par les
guerres mondiales ont été longs à se résorber) ; et nous avons
pu, grâce aux possibilités nouvelles offertes par l’outil informatique,
rassembler sans peine excessive des données historiques
à une échelle beaucoup plus vaste que nos prédécesseurs.
Sans chercher à faire jouer un rôle exagéré à la technologie
dans l’histoire des idées, il me semble que ces questions
purement techniques ne doivent pas être totalement négligées.
Il était objectivement beaucoup plus difficile de traiter
1. Voir T. Piketty et G. Zucman, « Capital is back : wealth- income
ratios in rich countries, 1700-2010 », École d’économie de Paris, 2013.
2. Voir en particulier R. W. Goldsmith, Comparative National Balance
Sheets : A Study of Twenty Countries, 1688-1978, The University of Chicago
Press, 1985. Des références plus complètes sont données dans l’annexe
technique.
INTRODUCTION
45
des volumes importants de données historiques à l’époque
de Kuznets, et dans une large mesure jusqu’aux années
1980-1990, qu’il ne l’est aujourd’hui. Quand Alice Hanson
Jones rassemble dans les années 1970 des inventaires au décès
américains de l’époque coloniale 1, ou quand Adeline Daumard
fait de même avec les archives successorales françaises du
xixe siècle 2, il est important de réaliser que ce travail s’effectue
pour une large part à la main, avec des fiches cartonnées.
Quand on relit aujourd’hui ces travaux remarquables, ou bien
ceux consacrés par François Simiand à l’évolution des salaires
au xixe siècle, par Ernest Labrousse à l’histoire des prix et
des revenus au xviiie siècle, ou encore par Jean Bouvier et
François Furet aux mouvements du profit au xixe siècle, il
apparaît clairement que ces chercheurs ont dû faire face à
d’importantes difficultés matérielles pour collecter et traiter
leurs données 3. Ces complications d’ordre technique absorbent
souvent une bonne part de leur énergie et semblent parfois
prendre le pas sur l’analyse et l’interprétation, d’autant plus
que ces difficultés limitent considérablement les comparaisons
internationales et temporelles envisageables. Dans une
large mesure, il est beaucoup plus facile d’étudier l’histoire
de la répartition des richesses aujourd’hui que par le passé.
Le présent livre reflète en grande partie cette évolution des
conditions de travail du chercheur 4.
1. Voir A. H. Jones, American Colonial Wealth : Documents and Methods,
Arno Press, 1977.
2. Voir A. Daumard, Les Fortunes françaises au XIXe siècle. Enquête sur la
répartition et la composition des capitaux privés à Paris, Lyon, Lille, Bordeaux et
Toulouse d’après l’enregistrement des déclarations de successions, Mouton, 1973.
3. Voir en particulier F. Simiand, Le Salaire, l’évolution sociale et la monnaie,
Alcan, 1932 ; E. Labrousse, Esquisse du mouvement des prix et des revenus
en France au XVIIIe siècle, 1933 ; J. Bouvier, F. Furet et M. Gilet, Le Mouvement
du profit en France au XIXe siècle. Matériaux et études, Mouton, 1965.
4. Il existe aussi des raisons proprement intellectuelles expliquant le
déclin de l’histoire économique et sociale consacrée à l’évolution des prix,
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
46
Les principaux résultats obtenus dans ce livre
Quels sont les principaux résultats auxquels m’ont conduit
ces sources historiques inédites ? La première conclusion est
qu’il faut se méfier de tout déterminisme économique en cette
matière : l’histoire de la répartition des richesses est toujours
une histoire profondément politique et ne saurait se résumer
à des mécanismes purement économiques. En particulier, la
réduction des inégalités observée dans les pays développés entre
les années 1900-1910 et les années 1950-1960 est avant tout le
produit des guerres et des politiques publiques mises en place
à la suite de ces chocs. De même, la remontée des inégalités
depuis les années 1970-1980 doit beaucoup aux retournements
politiques des dernières décennies, notamment en matière fiscale
et financière. L’histoire des inégalités dépend des représentations
que se font les acteurs économiques, politiques, sociaux, de ce
qui est juste et de ce qui ne l’est pas, des rapports de force
entre ces acteurs, et des choix collectifs qui en découlent ;
elle est ce qu’en font tous les acteurs concernés.
La seconde conclusion, qui constitue le coeur de ce livre,
est que la dynamique de la répartition des richesses met en jeu
de puissants mécanismes poussant alternativement dans le sens
de la convergence et de la divergence, et qu’il n’existe aucun
processus naturel et spontané permettant d’éviter que les tendances
déstabilisatrices et inégalitaires l’emportent durablement.
Commençons par les mécanismes poussant vers la convergence,
c’est- à- dire allant dans le sens de la réduction et de la
compression des inégalités. La principale force de convergence
est le processus de diffusion des connaissances et d’investissement
dans les qualifications et la formation. Le jeu de
l’offre et de la demande ainsi que la mobilité du capital et
des revenus et des patrimoines (parfois appelée « histoire sérielle »), déclin
à mon sens regrettable et réversible, sur lesquelles nous reviendrons.
INTRODUCTION
47
du travail, qui en constitue une variante, peuvent également
oeuvrer en ce sens, mais de façon moins forte, et souvent de
façon ambiguë et contradictoire. Le processus de diffusion des
connaissances et des compétences est le mécanisme central
qui permet à la fois la croissance générale de la productivité
et la réduction des inégalités, à l’intérieur des pays comme
au niveau international, comme l’illustre le rattrapage actuel
des pays riches par une bonne partie des pays pauvres et
émergents, à commencer par la Chine. C’est en adoptant
les modes de production et en atteignant les niveaux de
qualification des pays riches que les pays moins développés
rattrapent leur retard de productivité et font progresser leurs
revenus. Ce processus de convergence technologique peut
être favorisé par l’ouverture commerciale, mais il s’agit fondamentalement
d’un processus de diffusion des connaissances
et de partage du savoir – bien public par excellence –, et
non d’un mécanisme de marché.
D’un point de vue strictement théorique, il existe potentiellement
d’autres forces allant dans le sens d’une plus grande
égalité. On peut par exemple penser que les techniques de
production accordent une importance croissante au travail
humain et aux compétences au cours de l’histoire, si bien
que la part des revenus allant au travail s’élève tendanciellement
(et que la part allant au capital diminue d’autant),
hypothèse que l’on pourrait appeler la « montée du capital
humain ». Autrement dit, la marche en avant vers la rationalité
technicienne conduirait mécaniquement au triomphe
du capital humain sur le capital financier et immobilier, des
cadres méritants sur les actionnaires bedonnants, de la compétence
sur la filiation. Par là même, les inégalités deviendraient
naturellement plus méritocratiques et moins figées
(si ce n’est moins fortes en niveau) au fil de l’histoire : la
rationalité économique déboucherait mécaniquement sur la
rationalité démocratique, en quelque sorte.
Une autre croyance optimiste très répandue dans nos sociétés
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
48
modernes est l’idée selon laquelle l’allongement de la durée
de la vie conduirait mécaniquement au remplacement de
la « guerre des classes » par la « guerre des âges » (forme de
conflit qui est somme toute beaucoup moins clivante pour
une société, puisque chacun est tour à tour jeune et vieux).
Autrement dit, l’accumulation et la répartition des patrimoines
seraient aujourd’hui dominées non plus par un affrontement
implacable entre des dynasties d’héritiers et des dynasties ne
possédant que leur travail, mais bien plutôt par une logique
d’épargne de cycle de vie : chacun accumule du patrimoine
pour ses vieux jours. Le progrès médical et l’amélioration
des conditions de vie auraient ainsi totalement transformé la
nature même du capital.
Malheureusement, nous verrons que ces deux croyances
optimistes (la « montée du capital humain », et le remplacement
de la « guerre des classes » par la « guerre des âges »)
sont en grande partie des illusions. Plus précisément, ces
transformations – tout à fait plausibles d’un strict point de
vue logique – ont partiellement eu lieu, mais dans des proportions
beaucoup moins massives que ce que l’on imagine
parfois. Il n’est pas sûr que la part du travail dans le revenu
national ait progressé de façon véritablement significative sur
très longue période : le capital (non humain) semble presque
aussi indispensable au xxie siècle qu’il l’était au xviiie ou au
xixe siècle, et on ne peut exclure qu’il le devienne encore
davantage. De même, aujourd’hui comme hier, les inégalités
patrimoniales sont à titre principal des inégalités à l’intérieur
de chaque groupe d’âge, et nous verrons que l’héritage n’est
pas loin de retrouver en ce début de xxie siècle l’importance
qu’il avait à l’époque du Père Goriot. Sur longue période, la
force principale poussant véritablement vers l’égalisation des
conditions est la diffusion des connaissances et des qualifications.
INTRODUCTION
49
Forces de convergence, forces de divergence
Or le fait central est que cette force égalisatrice, si importante
soit- elle, notamment pour permettre la convergence
entre pays, peut parfois être contrebalancée et dominée par
de puissantes forces allant dans le sens contraire, celui de la
divergence, c’est- à- dire de l’élargissement et de l’amplification
des inégalités. De façon évidente, l’absence d’investissement
adéquat dans la formation peut empêcher des groupes sociaux
entiers de bénéficier de la croissance, ou même peut les
conduire à se faire déclasser par de nouveaux venus, comme
le montre parfois le rattrapage international actuellement à
l’oeuvre (les ouvriers chinois prennent la place des ouvriers
américains et français, et ainsi de suite). Autrement dit, la
principale force de convergence – la diffusion des connaissances
– n’est qu’en partie naturelle et spontanée : elle dépend
aussi pour une large part des politiques suivies en matière
d’éducation et d’accès à la formation et à des qualifications
adaptées, et des institutions mises en place dans ce domaine.
Dans le cadre de ce livre, nous allons mettre l’accent sur
des forces de divergence plus inquiétantes encore, dans la
mesure où elles peuvent se produire dans un monde où
tous les investissements adéquats en compétences auraient
été réalisés, et où toutes les conditions de l’efficacité de
l’économie de marché – au sens des économistes – seraient
en apparence réunies. Ces forces de divergence sont les
suivantes : il s’agit d’une part du processus de décrochage
des plus hautes rémunérations, dont nous allons voir qu’il
peut être très massif, même s’il reste à ce jour relativement
localisé ; il s’agit d’autre part et surtout d’un ensemble de
forces de divergence liées au processus d’accumulation et de
concentration des patrimoines dans un monde caractérisé par
une croissance faible et un rendement élevé du capital. Ce
second processus est potentiellement plus déstabilisant que le
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
50
premier, et constitue sans doute la principale menace pour la
dynamique de la répartition des richesses à très long terme.
Entrons immédiatement dans le vif du sujet. Nous avons
représenté sur les graphiques I.1 et I.2 deux évolutions fondamentales
que nous allons tenter de comprendre, et qui
illustrent l’importance potentielle de ces deux processus de
divergence. Les évolutions indiquées sur ces graphiques ont
toutes des formes de « courbe en U », c’est- à- dire d’abord
décroissantes puis croissantes, et on pourrait croire qu’elles
correspondent à des réalités similaires. Pourtant, il n’en est
rien : ces évolutions renvoient à des phénomènes tout à fait
différents, reposant sur des mécanismes économiques, sociaux
et politiques bien distincts. En outre, la première évolution
concerne avant tout les États- Unis, et la seconde concerne
principalement l’Europe et le Japon. Il n’est certes pas exclu
que ces deux évolutions et ces deux forces de divergence
finissent par se cumuler dans les mêmes pays au cours du
xxie siècle – et de fait nous verrons que cela est déjà partiellement
le cas –, voire au niveau de la planète entière, ce qui
pourrait conduire à des niveaux d’inégalités inconnus dans le
passé, et surtout à une structure des inégalités radicalement
nouvelle. Mais à ce jour ces deux évolutions saisissantes
correspondent pour l’essentiel à deux phénomènes distincts.
La première évolution, représentée sur le graphique I.1,
indique la trajectoire suivie par la part du décile supérieur
de la hiérarchie des revenus dans le revenu national américain
au cours de la période 1910-2010. Il s’agit simplement de
l’extension des séries historiques établies par Kuznets dans les
années 1950. On retrouve de fait la forte compression des
inégalités observée par Kuznets entre 1913 et 1948, avec une
baisse de près de quinze points de revenu national de la part
du décile supérieur, qui atteignait 45 %- 50 % du revenu
national dans les années 1910-1920, et qui est passée à
30 %- 35 % à la fin des années 1940. L’inégalité se stabilise
ensuite à ce niveau dans les années 1950-1970. Puis on
INTRODUCTION
51
observe un très rapide mouvement allant en sens inverse
depuis les années 1970-1980, à tel point que la part du décile
supérieur retrouve dans les années 2000-2010 un niveau de
l’ordre de 45 %- 50 % du revenu national. L’ampleur du
retournement est impressionnante. Il est naturel de se demander
jusqu’où peut aller une telle tendance.
Nous verrons que cette évolution spectaculaire correspond
pour une large part à l’explosion sans précédent des très hauts
revenus du travail, et qu’elle reflète avant tout un phénomène
de sécession des cadres dirigeants des grandes entreprises. Une
explication possible est une montée soudaine du niveau de
qualifications et de productivité de ces super- cadres, par comparaison
à la masse des autres salariés. Une autre explication,
qui me semble plus plausible, et dont nous verrons qu’elle est
nettement plus cohérente avec les faits observés, est que ces
cadres dirigeants sont dans une large mesure en capacité de
fixer leur propre rémunération, parfois sans aucune retenue,
et souvent sans relation claire avec leur productivité indivi-
25 %
30 %
35 %
40 %
45 %
50 %
1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010
Part du décile supérieur dans le revenu national
Lecture : la part du décile supérieur dans le revenu national américain est passée de 45-50 % dans les
années 1910-1920 à moins de 35 % dans les années 1950 (il s’agit de la baisse mesurée par Kuznets) ;
puis elle est remontée de moins de 35 % dans les années 1970 à 45-50 % dans les années 2000-2010.
Sources et séries : voir piketty.pse.ens.fr/capital21c.
Graphique I.1.
L’inégalité des revenus aux États-Unis, 1910-2010
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
52
duelle, au demeurant très difficile à estimer au sein d’organisations
de grande taille. Cette évolution s’observe surtout
aux États- Unis, et à un degré moindre au Royaume- Uni,
ce qui peut s’expliquer par l’histoire particulière des normes
sociales et fiscales qui caractérise ces deux pays au cours du
siècle écoulé. La tendance est à ce jour plus limitée dans les
autres pays riches (Japon, Allemagne, France et autres pays
d’Europe continentale), mais la pente pousse dans la même
direction. Il serait bien hasardeux d’attendre que ce phénomène
prenne partout la même ampleur qu’aux États- Unis
avant de s’en préoccuper et de l’analyser aussi complètement
que possible – ce qui n’est malheureusement pas si simple,
compte tenu des limites des données disponibles.
La force de divergence fondamentale : r > g
La seconde évolution, représentée sur le graphique I.2,
renvoie à un mécanisme de divergence qui est d’une certaine
façon plus simple et plus transparent, et qui est sans doute
plus déterminant encore pour l’évolution à long terme de
la répartition des richesses. Le graphique I.2 indique l’évolution
au Royaume- Uni, en France et en Allemagne de la
valeur totale des patrimoines privés (immobiliers, financiers
et professionnels, nets de dettes), exprimée en années de
revenu national, des années 1870 aux années 2010. On
notera tout d’abord la très grande prospérité patrimoniale qui
caractérise l’Europe de la fin du xixe siècle et de la Belle
Époque : la valeur des patrimoines privés s’établit autour de
six- sept années de revenu national, ce qui est considérable.
On constate ensuite une forte chute à la suite des chocs des
années 1914-1945 : le rapport capital/revenu tombe à tout
juste deux- trois années de revenu national. Puis on observe
une hausse continue depuis les années 1950, à tel point que
les patrimoines privés semblent en passe de retrouver en
INTRODUCTION
53
ce début de xxie siècle les sommets observés à la veille de
la Première Guerre mondiale : le rapport capital/revenu se
situe dans les années 2000-2010 autour de cinq- six années
de revenu national au Royaume- Uni comme en France (le
niveau atteint est plus faible en Allemagne, qui il est vrai
partait de plus bas : la tendance est tout aussi nette).
100 %
200 %
300 %
400 %
500 %
600 %
700 %
800 %
1870 1890 1910 1930 1950 1970 1990 2010
Valeur du capital privé, en % du revenu national
Graphique I.2.
Le rapport capital/revenu en Europe, 1870-2010
Allemagne
France
Royaume-Uni
Lecture : le total des patrimoines privés valait entre 6 et 7 années de revenu national en Europe en
1910, entre 2 et 3 années en 1950, et entre 4 et 6 années en 2010.
Sources et séries : voir piketty.pse.ens.fr/capital21c.
Cette « courbe en U » de grande ampleur correspond à
une transformation absolument centrale, sur laquelle nous
aurons amplement l’occasion de revenir. Nous verrons en
particulier que le retour de rapports élevés entre le stock de
capital et le flux de revenu national au cours des dernières
décennies s’explique pour une large part par le retour à un
régime de croissance relativement lente. Dans des sociétés
de croissance faible, les patrimoines issus du passé prennent
naturellement une importance disproportionnée, car il suffit
d’un faible flux d’épargne nouvelle pour accroître continûment
et substantiellement l’ampleur du stock.
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
54
Si de surcroît le taux de rendement du capital s’établit
fortement et durablement au- delà du taux de croissance (ce
qui n’est pas automatique, mais est d’autant plus probable que
le taux de croissance est faible), alors il existe un risque très
fort de divergence caractérisée de la répartition des richesses.
Cette inégalité fondamentale, que nous noterons r > g
– où r désigne le taux de rendement du capital (c’est- à- dire
ce que rapporte en moyenne le capital au cours d’une année,
sous forme de profits, dividendes, intérêts, loyers et autres
revenus du capital, en pourcentage de sa valeur), et où g
représente le taux de croissance (c’est- à- dire l’accroissement
annuel du revenu et de la production) –, va jouer un rôle
essentiel dans ce livre. D’une certaine façon, elle en résume
la logique d’ensemble.
Lorsque le taux de rendement du capital dépasse significativement
le taux de croissance – et nous verrons que cela
a presque toujours été le cas dans l’histoire, tout du moins
jusqu’au xixe siècle, et que cela a de grandes chances de
redevenir la norme au xxie siècle –, cela implique mécaniquement
que les patrimoines issus du passé se recapitalisent
plus vite que le rythme de progression de la production
et des revenus. Il suffit donc aux héritiers d’épargner une
part limitée des revenus de leur capital pour que ce dernier
s’accroisse plus vite que l’économie dans son ensemble. Dans
ces conditions, il est presque inévitable que les patrimoines
hérités dominent largement les patrimoines constitués au
cours d’une vie de travail, et que la concentration du capital
atteigne des niveaux extrêmement élevés, et potentiellement
incompatibles avec les valeurs méritocratiques et les principes
de justice sociale qui sont au fondement de nos sociétés
démocratiques modernes.
Cette force de divergence fondamentale peut en outre
être renforcée par des mécanismes additionnels, par exemple
si le taux d’épargne progresse fortement avec le niveau de
INTRODUCTION
55
richesse 1, et plus encore si le taux de rendement moyen
effectivement obtenu est d’autant plus élevé que le capital
initial est important (or nous verrons que cela semble être de
plus en plus le cas). Le caractère imprévisible et arbitraire des
rendements du capital et des formes d’enrichissement qui en
découlent constitue également une forme de remise en cause
de l’idéal méritocratique. Enfin, tous ces effets peuvent être
aggravés par un mécanisme de type ricardien de divergence
structurelle des prix immobiliers ou pétroliers.
Résumons. Le processus d’accumulation et de répartition
des patrimoines contient en lui- même des forces puissantes
poussant vers la divergence, ou tout du moins vers un niveau
d’inégalité extrêmement élevé. Il existe également des forces
de convergence, qui peuvent fort bien l’emporter dans certains
pays ou à certaines époques, mais les forces de divergence
peuvent à tout moment prendre le dessus, comme cela semble
être le cas en ce début de xxie siècle, et comme le laisse
présager l’abaissement probable de la croissance démographique
et économique dans les décennies à venir.
Mes conclusions sont moins apocalyptiques que celles
impliquées par le principe d’accumulation infinie et de divergence
perpétuelle exprimé par Marx (dont la théorie repose
implicitement sur une croissance rigoureusement nulle de
la productivité à long terme). Dans le schéma proposé, la
divergence n’est pas perpétuelle, et elle n’est qu’un des avenirs
1. Ce mécanisme déstabilisateur évident (plus on est riche, plus on
accroît son patrimoine) inquiétait beaucoup Kuznets, d’où le titre donné à
son livre de 1953 : Shares of Upper Income Groups in Income and Savings, National
Bureau of Economic Research. Mais il manquait de recul historique
pour l’analyser pleinement. Cette force de divergence est également au
coeur du livre classique de J. Meade, Efficiency, Equality, and the Ownership
of Property, Allen & Unwin, 1964, et de l’ouvrage de A. Atkinson et de
A. Harrison, Distribution of Personal Wealth in Britain, 1923-1972, op. cit.,
qui en est d’une certaine façon le prolongement historique. Nos travaux se
situent directement dans les traces de ces auteurs.
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
56
possibles. Mais elles ne sont pas pour autant très réjouissantes.
En particulier, il est important de souligner que l’inégalité
fondamentale r > g, principale force de divergence dans
notre schéma explicatif, n’a rien à voir avec une quelconque
imperfection de marché, bien au contraire : plus le marché
du capital est « parfait », au sens des économistes, plus elle
a de chances d’être vérifiée. Il est possible d’imaginer des
institutions et des politiques publiques permettant de contrer
les effets de cette logique implacable – comme un impôt
mondial et progressif sur le capital. Mais leur mise en place
pose des problèmes considérables en termes de coordination
internationale. Il est malheureusement probable que les
réponses apportées seront en pratique beaucoup plus modestes
et inefficaces, par exemple sous la forme de replis nationalistes
de diverses natures.
Le cadre géographique et historique
Quel sera le cadre spatial et temporel de cette enquête ?
Autant que possible, je tenterai d’analyser la dynamique de
la répartition des richesses au niveau mondial, aussi bien à
l’intérieur des pays qu’entre les pays, depuis le xviiie siècle.
En pratique, cependant, les multiples limitations des données
disponibles m’obligeront souvent à restreindre assez nettement
le champ étudié. Pour ce qui concerne la répartition de la
production et du revenu entre les pays, que nous étudierons
dans la première partie, il est possible d’avoir un point de
vue mondial depuis 1700 (grâce notamment aux comptes
nationaux rassemblés par Angus Madisson). Quand nous étudierons
la dynamique du rapport capital/revenu et du partage
capital- travail, dans la deuxième partie, nous serons contraints
de nous limiter pour l’essentiel au cas des pays riches, et de
procéder par extrapolation pour ce qui concerne les pays
pauvres et émergents, faute de données historiques adéquates.
INTRODUCTION
57
Quand nous examinerons l’évolution des inégalités de revenus
et de patrimoines, dans la troisième partie, nous serons
également fortement contraints par les sources disponibles.
Nous tenterons de prendre en compte le maximum de pays
pauvres et émergents, grâce notamment aux données issues
de la WTID, qui essaie autant que possible de couvrir les
cinq continents. Mais il est bien évident que les évolutions
sur longue période sont nettement mieux documentées dans
les pays riches. Concrètement, ce livre repose avant tout
sur l’analyse de l’expérience historique des principaux pays
développés : les États- Unis, le Japon, l’Allemagne, la France
et le Royaume- Uni.
Les cas du Royaume- Uni et de la France seront particulièrement
sollicités, car il s’agit des deux pays pour lesquels
les sources historiques sont les plus complètes sur très longue
période. En particulier, il existe pour le Royaume- Uni comme
pour la France de multiples estimations du patrimoine national
et de sa structure, permettant de remonter jusqu’au début
du xviiie siècle. Ces deux pays constituent en outre les
deux principales puissances coloniales et financières du xixe
et du début du xxe siècle. Leur étude détaillée revêt donc
une importance évidente pour l’analyse de la dynamique
de la répartition mondiale des richesses depuis la révolution
industrielle. En particulier, ils constituent un point d’entrée
incontournable pour l’étude de ce que l’on nomme souvent
la « première » mondialisation financière et commerciale, celle
des années 1870-1914, période qui entretient de profondes
similitudes avec la « seconde » mondialisation, en cours depuis
les années 1970-1980. Il s’agit d’une période qui est à la fois
fascinante et prodigieusement inégalitaire. C’est l’époque où
l’on invente l’ampoule électrique et les liaisons transatlantiques
(le Titanic appareille en 1912), le cinéma et la radio, la voiture
et les placements financiers internationaux. Rappelons
par exemple qu’il faut attendre les années 2000-2010 pour
retrouver dans les pays riches les niveaux de capitalisation
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
58
boursière – en proportion de la production intérieure ou
du revenu national – atteints à Paris et à Londres dans les
années 1900-1910. Nous verrons que cette comparaison est
riche d’enseignements pour la compréhension du monde
d’aujourd’hui.
Certains lecteurs s’étonneront sans doute de l’importance
particulière que j’accorde à l’étude du cas français, et me
suspecteront peut- être de nationalisme. Il me faut donc me
justifier. Il s’agit tout d’abord d’une question de sources. La
Révolution française n’a certes pas créé une société juste et
idéale. Mais nous verrons qu’elle a au moins eu le mérite
de mettre en place un incomparable observatoire des fortunes
: le système d’enregistrement des patrimoines terriens,
immobiliers et financiers institué dans les années 1790-1800
est étonnamment moderne et universel pour l’époque, et
explique pourquoi les sources successorales françaises sont
probablement les plus riches du monde sur longue période.
La seconde raison est que la France, parce qu’elle est le
pays qui a connu la transition démographique la plus précoce,
constitue d’une certaine façon un bon observatoire de ce
qui attend l’ensemble de la planète. La population française
a certes progressé au cours des deux derniers siècles, mais
à un rythme relativement lent. La France comptait près de
30 millions d’habitants au moment de la Révolution, et elle
en compte à peine plus de 60 millions au début des années
2010. Il s’agit bien du même pays, des mêmes ordres de grandeur.
Par comparaison, les États- Unis d’Amérique comptaient
à peine 3 millions d’habitants au moment de la Déclaration
d’indépendance. Ils atteignaient les 100 millions vers 1900-1910
et dépassent les 300 millions au début des années 2010. Il
est bien évident que quand un pays passe de 3 millions à
300 millions d’habitants (sans parler du changement radical
de l’échelle territoriale au cours de l’expansion vers l’ouest
au xixe siècle), il ne s’agit plus vraiment du même pays.
Nous verrons que la dynamique et la structure des iné-
INTRODUCTION
59
galités se présentent très différemment dans un pays où la
population a été multipliée par cent et dans un pays où elle
a tout juste doublé. En particulier, le poids de l’héritage est
naturellement beaucoup plus réduit dans le premier que dans
le second. C’est la très forte croissance démographique du
Nouveau Monde qui fait que le poids des patrimoines issus
du passé a toujours été plus réduit aux États- Unis qu’en
Europe, et qui explique pourquoi la structure des inégalités
américaines – et des représentations américaines de l’inégalité
et des classes sociales – est si particulière. Mais cela implique
également que le cas américain est dans une certaine mesure
non transposable (il est peu probable que la population mondiale
soit multipliée par cent au cours des deux prochains
siècles), et que le cas français est plus représentatif et plus
pertinent pour l’analyse de l’avenir. Je suis convaincu que
l’analyse détaillée du cas de la France, et plus généralement
des différentes trajectoires historiques observées dans les pays
aujourd’hui développés – en Europe, au Japon, en Amérique
du Nord et en Océanie –, est riche d’enseignements pour
les dynamiques mondiales à venir, y compris dans les pays
actuellement émergents, en Chine, au Brésil ou en Inde, qui
finiront sans doute par connaître eux aussi le ralentissement
de la croissance démographique – c’est déjà le cas – et économique.
Enfin, le cas de la France a ceci d’intéressant que la
Révolution française – révolution « bourgeoise » par excellence
– introduit très tôt un idéal d’égalité juridique face
au marché, dont il est intéressant d’étudier les conséquences
pour la dynamique de la répartition des richesses. La Révolution
anglaise de 1688 a certes introduit le parlementarisme
moderne ; mais elle a laissé derrière elle une dynastie royale,
la primogéniture terrienne jusqu’aux années 1920, et des privilèges
politiques pour la noblesse héréditaire jusqu’à nos jours
(le processus de redéfinition de la pairie et de la Chambre
des lords est toujours en cours dans les années 2010, ce qui
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
60
est objectivement un peu long). La Révolution américaine
de 1776 a certes introduit le principe républicain ; mais elle a
laissé l’esclavagisme prospérer pendant un siècle de plus, et la
discrimination raciale légale pendant presque deux siècles ; la
question raciale continue dans une large mesure de surdéterminer
encore aujourd’hui la question sociale aux États- Unis.
La Révolution française de 1789 est d’une certaine façon plus
ambitieuse : elle abolit tous les privilèges légaux, et entend
créer un ordre politique et social entièrement fondé sur l’égalité
des droits et des chances. Le Code civil garantit l’égalité
absolue face au droit de propriété et à celui de contracter
librement (tout du moins pour les hommes). À la fin du
xixe siècle et à la Belle Époque, les économistes conservateurs
français – tel Paul Leroy- Beaulieu – utilisaient souvent cet
argument pour expliquer que la France républicaine, pays
de « petits propriétaires », pays devenu égalitaire grâce à la
Révolution, n’avait aucunement besoin d’un impôt progressif
et spoliateur sur le revenu ou sur les successions, contrairement
au Royaume- Uni monarchique et aristocratique. Or
nos données démontrent que la concentration des patrimoines
était à cette époque presque aussi extrême en France qu’au
Royaume- Uni, ce qui illustre assez clairement que l’égalité
des droits face au marché ne suffit pas à conduire à l’égalité
des droits tout court. Là encore, cette expérience est tout à
fait pertinente pour l’analyse du monde d’aujourd’hui, où de
nombreux observateurs continuent de s’imaginer, à l’image
de Leroy- Beaulieu il y a un peu plus d’un siècle, qu’il suffit
de mettre en place des droits de propriété toujours mieux
garantis, des marchés toujours plus libres, et une concurrence
toujours plus « pure et parfaite », pour aboutir à une société
juste, prospère et harmonieuse. La tâche est malheureusement
plus complexe.
INTRODUCTION
61
Le cadre théorique et conceptuel
Avant de se lancer plus avant dans ce livre, il est peutêtre
utile d’en dire un peu plus sur le cadre théorique et
conceptuel dans lequel se situe cette recherche, ainsi que sur
l’itinéraire intellectuel qui m’a conduit à cet ouvrage.
Précisons tout d’abord que je fais partie d’une génération qui
a eu 18 ans en 1989, année du bicentenaire de la Révolution
française, certes, mais aussi et surtout année de la chute du mur
de Berlin. Je fais partie de cette génération qui est devenue
adulte en écoutant à la radio l’effondrement des dictatures
communistes, et qui n’a jamais ressenti la moindre tendresse
ou nostalgie pour ces régimes et pour le soviétisme. Je suis
vacciné à vie contre les discours anticapitalistes convenus et
paresseux, qui semblent parfois ignorer cet échec historique
fondamental, et qui trop souvent refusent de se donner les
moyens intellectuels de le dépasser. Cela ne m’intéresse pas
de dénoncer les inégalités ou le capitalisme en tant que tel
– d’autant plus que les inégalités sociales ne posent pas de
problème en soi, pour peu qu’elles soient justifiées, c’est- àdire
« fondées sur l’utilité commune », ainsi que le proclame
l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 (cette définition de la justice sociale est imprécise,
mais séduisante, et ancrée dans l’histoire : adoptons- la
pour l’instant ; nous y reviendrons). Ce qui m’intéresse, c’est
de tenter de contribuer, modestement, à déterminer les modes
d’organisation sociale, les institutions et les politiques publiques
les plus appropriés permettant de mettre en place réellement
et efficacement une société juste, tout cela dans le cadre d’un
État de droit, dont les règles sont connues à l’avance et applicables
à tous, et peuvent être démocratiquement débattues.
Il est peut- être adapté d’indiquer aussi que j’ai connu mon
rêve américain à 22 ans, en me faisant embaucher par une
université bostonienne, sitôt mon doctorat en poche. Cette
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
62
expérience fut déterminante à plus d’un titre. C’était la première
fois que je mettais les pieds aux États- Unis, et cette
reconnaissance précoce n’était pas désagréable. Voici un pays
qui sait y faire avec les migrants qu’il souhaite attirer ! Et
en même temps j’ai tout de suite su que je voulais revenir
très vite en France et en Europe, ce que je fis à tout juste
25 ans. Je n’ai pas quitté Paris depuis, sauf pour quelques
brefs séjours. L’une des raisons importantes derrière ce choix
est directement pertinente ici : je n’ai pas été très convaincu
par les économistes américains. Certes, tout le monde était
très intelligent, et je conserve de nombreux amis au sein de
cet univers. Mais il y avait quelque chose d’étrange : j’étais
bien placé pour savoir que je ne connaissais rien du tout aux
problèmes économiques du monde (ma thèse se composait
de quelques théorèmes mathématiques relativement abstraits),
et pourtant la profession m’aimait bien. Je me rendais vite
compte qu’aucun travail de collecte de données historiques
conséquent n’avait été entrepris sur la dynamique des inégalités
depuis l’époque de Kuznets (ce à quoi je me suis attelé dès
mon retour en France), et pourtant la profession continuait
d’aligner les résultats purement théoriques, sans même savoir
quels faits expliquer, et attendait de moi que je fasse de même.
Disons- le tout net : la discipline économique n’est toujours
pas sortie de sa passion infantile pour les mathématiques
et les spéculations purement théoriques, et souvent
très idéologiques, au détriment de la recherche historique
et du rapprochement avec les autres sciences sociales. Trop
souvent, les économistes sont avant tout préoccupés par de
petits problèmes mathématiques qui n’intéressent qu’euxmêmes,
ce qui leur permet de se donner à peu de frais des
apparences de scientificité et d’éviter d’avoir à répondre aux
questions autrement plus compliquées posées par le monde
qui les entoure. Être économiste universitaire en France a un
grand avantage : les économistes sont assez peu considérés
au sein du monde intellectuel et universitaire, ainsi d’ailleurs
INTRODUCTION
63
que parmi les élites politiques et financières. Cela les oblige
à abandonner leur mépris pour les autres disciplines, et leur
prétention absurde à une scientificité supérieure, alors même
qu’ils ne savent à peu près rien sur rien. C’est d’ailleurs le
charme de la discipline, et des sciences sociales en général :
on part de bas, de très bas parfois, et l’on peut donc espérer
faire des progrès importants. En France, les économistes sont
– je crois – un peu plus incités qu’aux États- Unis à tenter de
convaincre leurs collègues historiens et sociologues, et plus
généralement le monde extérieur, de l’intérêt de ce qu’ils font
(ce qui n’est pas gagné). En l’occurrence, mon rêve quand
j’enseignais à Boston était de rejoindre l’École des hautes
études en sciences sociales, une école dont les grands noms
sont Lucien Febvre, Fernand Braudel, Claude Lévi- Strauss,
Pierre Bourdieu, Françoise Héritier, Maurice Godelier, et tant
d’autres encore. Dois- je le confesser, au risque de sembler
cocardier dans ma vision des sciences sociales ? J’ai sans doute
plus d’admiration pour ces savants que pour Robert Solow,
ou même pour Simon Kuznets – même si je regrette qu’une
grande partie des sciences sociales ait dans une large mesure
cessé de s’intéresser à la répartition des richesses et aux classes
sociales, alors que les questions de revenus, de salaires, de prix
et de fortunes figuraient en bonne place dans les programmes
de recherches de l’histoire et de la sociologie jusqu’aux années
1970-1980. J’aimerais en vérité que les spécialistes comme
les amateurs de toutes les sciences sociales trouvent quelque
intérêt aux recherches exposées dans ce livre – à commencer
par tous ceux qui disent « ne rien connaître à l’économie »,
mais qui ont souvent des opinions très fortes sur l’inégalité
des revenus et des fortunes, ce qui est bien naturel.
En vérité, l’économie n’aurait jamais dû chercher à se
séparer des autres disciplines des sciences sociales, et ne peut
se développer qu’en leur sein. On sait trop peu de chose
en sciences sociales pour se diviser bêtement de la sorte.
Pour espérer faire des progrès sur des questions telles que
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
64
la dynamique historique de la répartition des richesses et la
structure des classes sociales, il est bien évident qu’il faut
procéder avec pragmatisme, et mobiliser des méthodes et des
approches qui sont celles des historiens, des sociologues et
des politistes autant que celles des économistes. Il faut partir
des questions de fond et tenter d’y répondre : les querelles
de clocher et de territoire sont secondaires. Ce livre, je crois,
est autant un livre d’histoire que d’économie.
Comme je l’ai expliqué plus haut, mon travail a d’abord
consisté à rassembler des sources et à établir des faits et des
séries historiques sur les répartitions de revenus et de patrimoines.
Dans la suite de ce livre, je fais parfois appel à la
théorie, aux modèles et aux concepts abstraits, mais je tente
de le faire avec parcimonie, c’est- à- dire uniquement dans la
mesure où la théorie permet une meilleure compréhension
des évolutions étudiées. Par exemple, les notions de revenu
et de capital, de taux de croissance et de taux de rendement,
sont des concepts abstraits, des constructions théoriques, et non
des certitudes mathématiques. Je tenterai toutefois de montrer
qu’ils permettent d’analyser plus efficacement les réalités historiques,
pour peu que l’on adopte un regard critique et lucide
sur la précision – par nature approximative – avec laquelle
il est possible de les mesurer. J’utiliserai également quelques
équations, comme la loi α = r × β (selon laquelle la part du
capital dans le revenu national est égale au produit du taux de
rendement du capital et du rapport capital/revenu), ou encore
la loi β = s/g (selon laquelle le rapport capital/revenu est égal
dans le long terme au rapport entre le taux d’épargne et le
taux de croissance). Je prie le lecteur peu féru de mathématiques
de ne pas refermer aussitôt le livre : il s’agit d’équations
élémentaires, qui peuvent être expliquées de façon simple et
intuitive, et dont la bonne compréhension ne nécessite aucun
bagage technique particulier. Surtout, je tenterai de montrer
que ce cadre théorique minimal permet de mieux comprendre
des évolutions historiques importantes pour chacun.
INTRODUCTION
65
Plan du livre
La suite de ce livre est composée de quatre parties et de
seize chapitres. La première partie, intitulée « Revenu et
capital », constituée de deux chapitres, introduit les notions
fondamentales qui seront abondamment utilisées dans la suite
de l’ouvrage. En particulier, le chapitre 1 présente les concepts
de revenu national, de capital et de rapport capital/revenu,
puis décrit les grandes lignes d’évolution de la répartition
mondiale du revenu et de la production. Le chapitre 2 analyse
ensuite plus précisément l’évolution des taux de croissance
de la population et de la production depuis la révolution
industrielle. Aucun fait véritablement nouveau n’est présenté
dans cette première partie, et le lecteur familier de ces
notions et de l’histoire générale de la croissance mondiale
depuis le xviiie siècle peut choisir de passer directement à
la deuxième partie.
La deuxième partie, intitulée « La dynamique du rapport
capital/revenu », est formée de quatre chapitres. L’objectif
de cette partie est d’analyser la façon dont se présente en ce
début de xxie siècle la question de l’évolution à long terme du
rapport capital/revenu et du partage global du revenu national
entre revenus du travail et revenus du capital. Le chapitre 3
présente tout d’abord les métamorphoses du capital depuis le
xviiie siècle, en commençant par le cas du Royaume- Uni et
de la France, les mieux connus sur très longue période. Le
chapitre 4 introduit le cas de l’Allemagne et de l’Amérique.
Les chapitres 5 et 6 étendent géographiquement ces analyses
à la planète entière, autant que les sources le permettent, et
surtout tentent de tirer les leçons de ces expériences historiques
pour analyser l’évolution possible du rapport capital/
revenu et du partage capital- travail dans les décennies à venir.
La troisième partie, intitulée « La structure des inégalités »,
est composée de six chapitres. Le chapitre 7 commence par
LE CAPITAL AU XXIe SIÈCLE
66
familiariser le lecteur avec les ordres de grandeur atteints en
pratique par l’inégalité de la répartition des revenus du travail
d’une part, et de la propriété du capital et des revenus qui en
sont issus d’autre part. Puis le chapitre 8 analyse la dynamique
historique de ces inégalités, en commençant par contraster
les cas de la France et des États- Unis. Les chapitres 9 et 10
étendent ces analyses à l’ensemble des pays pour lesquels nous
disposons de données historiques (en particulier dans le cadre
de la WTID), en examinant séparément les inégalités face au
travail et face au capital. Le chapitre 11 étudie l’évolution de
l’importance de l’héritage dans le long terme. Enfin le chapitre
12 analyse les perspectives d’évolution de la répartition mondiale
des patrimoines au cours des premières décennies du xxie siècle.
Enfin, la quatrième partie, intitulée « Réguler le capital
au xxie siècle », est composée de quatre chapitres. L’objectif
est de tirer les leçons politiques et normatives des parties
précédentes, dont l’objet est avant tout d’établir les faits
et de comprendre les raisons des évolutions observées. Le
chapitre 13 tente de dresser les contours de ce que pourrait
être un État social adapté au siècle qui s’ouvre. Le chapitre
14 propose de repenser l’impôt progressif sur le revenu à la
lumière des expériences passées et des tendances récentes. Le
chapitre 15 décrit ce à quoi pourrait ressembler un impôt
progressif sur le capital adapté au capitalisme patrimonial du
xxie siècle, et compare cet outil idéal aux autres modes de
régulation susceptibles d’émerger, de l’impôt européen sur
la fortune au contrôle des capitaux à la chinoise, en passant
par l’immigration à l’américaine ou bien le retour généralisé
au protectionnisme. Le chapitre 16 traite de la question
lancinante de la dette publique et de celle – connexe – de
l’accumulation optimale du capital public, dans un contexte
de détérioration possible du capital naturel.
Un mot encore : il aurait été bien hasardeux de publier
en 1913 un livre intitulé Le Capital au XXe siècle. Que le
lecteur me pardonne donc de publier en 2013 un livre
INTRODUCTION
67
intitulé Le Capital au XXIe siècle. Je suis bien conscient de
l’incapacité totale qui est la mienne à prédire la forme que
prendra le capital en 2063 ou en 2113. Comme je l’ai déjà
noté, et ainsi que nous aurons amplement l’occasion de le
voir, l’histoire des revenus et des patrimoines est toujours une
histoire profondément politique, chaotique et imprévisible.
Elle dépend des représentations que les différentes sociétés se
font des inégalités, et des politiques et institutions qu’elles se
donnent pour les modeler et les transformer, dans un sens ou
dans un autre. Nul ne peut savoir quelle forme prendront
ces retournements dans les décennies à venir. Il n’en reste
pas moins que les leçons de l’histoire sont utiles pour tenter
d’appréhender un peu plus clairement ce que seront les choix
et les dynamiques à l’oeuvre dans le siècle qui s’ouvre. Tel
est dans le fond l’unique objectif de ce livre, qui en toute
logique aurait dû s’intituler Le Capital à l’aube du XXIe siècle :
tenter de tirer de l’expérience des siècles passés quelques
modestes clés pour l’avenir, sans illusion excessive sur leur
utilité réelle, car l’histoire invente toujours ses propres voies.

Sommaire

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
PREMIÈRE PARTIE. REVENU ET CAPITAL . . . . . . . . . 69
Chapitre 1. Revenu et production . . . . . . . . . . . . . . 71
Chapitre 2. La croissance : illusions et réalités . . . . . 125
DEUXIÈME PARTIE. LA DYNAMIQUE DU RAPPORT
CAPITAL/REVENU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
Chapitre 3. Les métamorphoses du capital . . . . . . . . 183
Chapitre 4. De la vieille Europe au Nouveau Monde 223
Chapitre 5. Le rapport capital/revenu
dans le long terme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
Chapitre 6. Le partage capital- travail au xxie siècle . . 315
7
TROISIÈME PARTIE. LA STRUCTURE DES INÉGALITÉS 373
Chapitre 7. Inégalités et concentration :
premiers repères . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 375
Chapitre 8. Les deux mondes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 427
Chapitre 9. L’inégalité des revenus du travail . . . . . . 481
Chapitre 10. L’inégalité de la propriété du capital . . 535
Chapitre 11. Mérite et héritage dans le long terme . 599
Chapitre 12. L’inégalité mondiale des patrimoines
au xxie siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 685
QUATRIÈME PARTIE. RÉGULER LE CAPITAL
AU XXIE SIÈCLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 749
Chapitre 13. Un État social pour le xxie siècle . . . . 751
Chapitre 14. Repenser l’impôt progressif
sur le revenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 793
Chapitre 15. Un impôt mondial sur le capital . . . . . 835
Chapitre 16. La question de la dette publique . . . . . 883
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 941
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 951
Liste des tableaux et graphiques . . . . . . . . . . . . . . . .

Salvador Sánchez Hidalgo y Gerardo Erazo viven en las luchas del pueblo salvadoreño

BRISBANE, Australia, 9 de diciembre de 2014 (SIEP) “Han pasado ya 35 años desde el asesinato de Salvador Sánchez Hidalgo, mi querido camarada Chamba, y todo me parece como si fuera ayer. Tengo muy presente su porte, su voz, su determinación de luchar…” expresa emocionado Ricardo Martínez, conocido como el Chele Foremost, destacado dirigente sindical en los años setenta y que hoy vive y lucha en Australia.

Añade que “me acuerdo de aquellos momentos en los que juntos como hermanos, realizábamos las tareas sindicales de la Confederación Unitaria de Trabajadores Salvadoreños, CUTS, que estaba formada por las federaciones sindicales, FENASTRAS, FUSS y FESTIAVTCES. Eran días muy difíciles para nuestro pueblo y el trabajo sindical se efectuaba bajo la amenaza de la represión de la dictadura militar en contra del movimiento popular.”

Una vez fuimos delegados para atender una reunión de un sindicato textil en la ciudad de Apopa, y cuando preguntamos por los viáticos (pago de buses y almuerzo) el secretario de finanzas nos manifestó que no habían fondos en la caja, que viéramos como hacíamos para solventar el problema. Conseguimos prestado solamente para el pasaje de los buses y partimos para cumplir esta tarea. Cumplir una tarea sindical era un deber sagrado, irrenunciable.”

Al mediodía tuvimos un receso para el almuerzo, todo mundo se fue a sus casas y nosotros nos quedamos en el local. Entonces Chamba me pregunto: ¿tenés hambre? -Sí un poco le respondí. También me dijo: no te preocupes, gastémonos el pasaje de bus de regreso y nos regresamos caminando. Entonces fuimos al mercado a comprar una papelada de arroz y frijoles con queso.”

Cuando llego el primer compañero de regreso a la reunión nos encontró almorzando nuestra papelada y sorprendido nos preguntó: ¿ustedes no tenían dinero para ir a un comedor? No fíjate, le respondimos y le explicamos que Finanzas de las CUTS no tenía dinero en la caja y este compañero muy sorprendido por lo sucedido inmediatamente lo comunicó al resto de compañeros quienes pidieron disculpas y nos dieron para el pasaje de bus de regreso. Había una hermandad muy grande y un profundo sentido de compañerismo.

En septiembre de 1979 habíamos electo a la nueva junta directiva de la CUTS, yo desempeñaba el cargo de secretario de organización y Chamba el de educación y propaganda. Recuerdo como saltaba de alegría porque habíamos logrado organizar por primera a los trabajadores y trabajadoras de la Alcaldía Municipal de Santa Ana. Me sentía muy feliz ir a esa ciudad morena por las tardes a atender las asambleas generales, el local se llenaba de gente, había mucho entusiasmo porque al fin los trabajadores municipales tenían una organización que iba a velar por sus intereses.”

Algunas personas me llamaban algunas veces aparte para decirme: “Mire compañero tenga cuidado cuando venga aquí porque a estas reuniones se hacen presentes miembros de los escuadrones de la muerte enviados por los ricos más rancios de Santa Ana, que no se tientan los hígados para matar gente.” En ese entonces yo tomaba en cuenta las sugerencias pero tanto Chamba como yo sabíamos que en cualquier parte corríamos riesgo, allí mismo en San Salvador a unos pocos metros de la FUSS habían unos “cuilios” vestidos de civil en una camuflajeada venta de muebles.”

Aun tengo muy fresco en mi memoria aquel 17 de diciembre de 1979 cuando nos encontramos en el local de la FUSS en horas de la tarde, y le comunique a mi amigo y compañero que en Santa Ana estaba programada en la mañana del 18 de diciembre una reunión con el alcalde de esa ciudad para conversar sobre unas demandas de los trabajadores y por la noche habían convocado a la gente a una asamblea general para dar a conocer los resultados y otros asuntos.

Le pedí a Salvador que atendiera esas reuniones porque en la mañana no podía estar presente en la reunión con el alcalde, a lo que él respondió: “ En septiembre a mi me eligieron como secretario de organización, esa tarea me corresponde a mí, entonces ahora me toca a mi iniciar mis funciones atendiendo a la gente de Santa Ana. Quedamos de acuerdo y minutos más tarde llegó al lugar donde me encontraba, diciéndome: “ Que mala suerte vos todas las veces que has ido a Santa Ana llevas la camioneta para regresarte el mismo día, ahora esta arruinada y tengo que irme en bus, pero no importa me quedare a dormir en la casa de algún compañero para regresarme al día siguiente”.

Esas reuniones se iban a llevar a cabo el 18 de diciembre, y yo estaba impaciente por conocer los resultados el día 19 que Chamba estaría de regreso en San Salvador. Me interesaba conocer los resultados de su gestión. Pero ese fatídico 19 fue para mí doloroso, algo inimaginable, cuando recibí la noticia: “Salvador Sánchez Hidalgo y Gerardo Erazo, ambos sindicalistas de la FUSS, han sido asesinados por los escuadrones de la muerte en la ciudad de Santa Ana”.

“Inmediatamente me traslado para Santa Ana para encontrarme con algo terrible, a los dos compañeros los habían torturado horriblemente hasta su muerte. Luego comienzo a entrevistar a la gente del sindicato de la Alcaldía Municipal sobre que sabían ellos de su muerte y me manifestaron que al salir de la reunión a eso de las 10 pm Chamba se fue a cenar con otros compañeros. Luego Gerardo Erazo le ofreció donde ir a dormir y lo acompaño. Erazo ya había recibido varias amenazas a muerte, y a la altura del cementerio de esa ciudad fueron interceptados por hombres armados, quienes se los llevaron secuestrados.”

Es lamentable que todavía la impunidad heredada de la derecha más recalcitrante de nuestro país continúa igual. No se ha investigado a quienes con lujo de barbarie atacaron a mis camaradas Salvador Sánchez Hidalgo y Gerardo Erazo, otro sindicalista honesto, trabajador y con sus ideas firmes por la revolución socialista como nosotros. Tampoco se ha hecho justicia por el asesinato de los padres de la revolucionaria “Mariposa” locutora de Radio Venceremos, que con su voz fuerte y firme dio ejemplo de lucha a todas las mujeres del mundo.”

Hay tantos casos de impunidad que aun continúan guardados en las gavetas de la Fiscalía General. Asimismo, en esas gavetas se encuentran decenas de casos de corrupción del actual partido Arena que en sus veinte años en el gobierno se robaron millones de dólares, dinero que hubiera servido para beneficiar a la población desposeída.

No obstante esto, vemos cambios que están beneficiando a los sectores más pobres de la población. En el actual gobierno bajo la dirección del FMLN, ahora los niños están recibiendo beneficios nunca vistos en la historia de El Salvador, los campesinos, las personas de la tercera edad y las mujeres están siendo beneficiadas con programas para cambiar su vida.

Un día en 1978 estábamos sentados los dos en la casa vieja de la FUSS en la Avenida Cuscatlán No. 630, en la parte de arriba. Conversábamos sobre diferentes temas políticos y entre otras cosas, Chamba me decía: “nosotros luchamos para que los niños sean felices en una sociedad más justa y por eso nuestros ideales de lucha por el socialismo están más que justificados”

En El Salvador y en otras partes del mundo, miles de personas, hombres y mujeres, estamos en pie de lucha y también América Latina se está transformando. Cuba sigue siendo el ejemplo que alumbra los cambios en nuestros países, a los que hoy se suma Venezuela, Ecuador, Nicaragua, Bolivia, Argentina, Uruguay, que van camino a las transformaciones con gobiernos surgidos democráticamente.

Nuestros ideales y sueños por una vida mejor en nuestros pueblos pobres, por lo que ofrendaron sus valiosas vidas nuestros hermanos Salvador y Gerardo, y nuestra lucha por esos objetivos siguen vigentes y mantenemos erguidas las banderas de nuestros queridos mártires hasta cumplir con sus sueños libertarios.

Fui del PCS en 1960…Entrevista con Alfredo Acosta (Segunda versión, ampliada y corregida).

Fui del PCS en 1960…Entrevista con Alfredo Acosta

SAN SALVADOR, 25 de octubre de 2014 (SIEP) “Ingrese al Partido Comunista de El Salvador el 7 de enero de 1960 y fui juramentado por Virgilio Guerra, fue allá en un mesón de Santa Ana…” nos comparte el revolucionario salvadoreño Alfredo Acosta, de 86 años.

En Cuba…

Agrega que “a finales del año 62 fuimos a Cuba para las celebraciones del IV Aniversario de la Revolución, fue mi primera misión internacional partidaria. Era el jefe de la delegación que incluía al tipógrafo José Dimas Alas, a Guadalupe Carpio, que estaba bien jovencita, a Lety Castro, a un estudiante universitario de seudónimo Patricio, a quien nunca volví a ver, y a Clara Lechuga, la esposa de Raúl Padilla Vela. El año antes para el III Aniversario de la Revolución, había estado el profesor José Alfredo Pineda, de Santa Ana.

Después de los festejos, al visitar la Plaza de la Revolución los cubanos me presentaron a un muchacho salvadoreño, delgado y simpático, se trataba de Roque Dalton aunque en ese momento no lo conocí con su verdadera identidad. Supe quien era hasta el siguiente año cuando me lo encontré en Praga, Checoslovaquia, junto con Jorge Arias Gómez (Chano) cuando venía ya de regreso al país. Ellos eran delegados del PCS a la Revista Internacional que tenía su sede en esa hermosa ciudad.

El regreso de la Isla alrededor de febrero fue complicado. El presidente de esa época, Julio Adalberto Rivera había publicado las fotos de cuando en México estábamos abordando el avión para Cuba, sucede que un agente de la CIA nos retrató a cada uno en el aeropuerto al ir subiendo al avión, se acercaba con la cámara y se oía el flashazo. Al regreso no nos dejaron bajar en México y tuvimos que regresarnos para La Habana.

Había órdenes de no permitirnos abordar avión para El Salvador y la compañía que lo hiciera sería multada. No nos quedo otra que regresarnos a Cuba. Al llegar nos separaron, a mi me ubicaron en una casa en El Vedado. Era una situación un poco incomoda de estar sin hacer nada así que les pedimos a los cubanos que queríamos integrarnos al proceso.

No les dijimos ni dos veces a los del ICAP cuando nos estaban enviando por tren hacia la provincia oriental de Santiago, a cortar caña. Cortábamos sin guantes, a las dos semanas le agarre el ritmo, es duro. Los cubanos eran muy diestros. Dormíamos en barracas en filas de hamacas, y nos despertaban a las 3 de la madrugada, caminábamos como una hora para el cañal y trabajábamos hasta las 10 de la mañana., después ya no se podía por el sol. En uno de eso días vimos de lejos al Che Guevara que había llegado y estaba manejando un tractor.

Salimos de nuevo hacia la patria hasta el 13 de marzo, en un largo recorrido organizado por los cubanos, que nos llevó primero a Amsterdam en Holanda, donde estuvimos dos días y luego a Sudamérica. Viajamos a Quito, Ecuador, fue un gran choque después de estar en Cuba regresar a ver los lustrabotas, los pordioseros, los niños de la calle, los mendigos, la suciedad…el capitalismo, igual que en El Salvador, los rostros de los limpiabotas eran los mismos, en un mercado donde fuimos a comer en Quito. Pero me fije que en las paredes había pintadas consignas revolucionarias.

De Quito viajamos a Caracas. Llegamos de madrugada al aeropuerto de Maiquetía. Me sorprende la bocanada de calor como un soplete en la espalda. Tremendo calor. De Caracas viajamos a la isla holandesa de Curacao. Estuvimos ahí 10 días debido a que el presidente Kennedy estaba visitando Costa Rica, y esto podría aumentar el control de seguridad en la región. Observamos las grandes propiedades de la Shell.

En esta isla holandesa no llueve y no hay mercado, las mercaderías llegan por lancha, en lancha llegan los comerciantes. Es una isla de hombres sin mujeres. Y las que llegan son de Venezuela. De Curacao salimos separados. Viajo junto con Dimas a Honduras vía Panamá. En Tegucigalpa, J.J., de Usulután, el enlace del Partido, nos proporciona caballos y así viajamos y entramos por veredas a El Salvador. Al llegar deseo ir a ver a mi mamá a Chalchuapa pero me informan que me están esperando para capturarme.

Hacia la URSS…

Unos meses después, en agosto del 63, salgó hacia la URSS a un curso de estudios políticos en Moscú que duraría dos años. Íbamos el obrero de la construcción Miguel Ángel Cea, Rafael Aguiñada Carranza (Mateo) que era de loa CNO, Tirso Canales, Alfonso “El Chiqui” García, Carlos Alberto “El Ratón” Hidalgo, mi persona y un profesor que olvido su nombre. De este grupo solo quedamos Tirso y Yo. Al llegar nos encontramos con el grupo anterior, el del año 62, que recién concluía sus estudios y estaban de vacaciones. Entre sus integrantes se encontraban Armando “El Zarco” Herrera, Miguel Ángel Parada, Mario Moreira, Salvador Carrillo, y Carlos Marín (Paul).

Al regresar en 1965 del curso en la URSS me fui para Santa Ana, donde fui designado como secretario general del Comité Departamental. CD solo existía en Santa Ana, ya que no había en esa época ni en Ahuachapan ni en Sonsonate. En este CD de Santa Ana también participaba Mario Rivera, Santos Medardo Villeda, que por cierto falleció recientemente, Ricardo Rivera, conocido como El Españolito, de pseudónimo Vanzetti, que es capturado y asesinado al ir camino a San Vicente a cumplir una tarea partidaria. Su esposa y su hijo son capturados y desaparecidos en 1980 cuando le caen a la casa de Toni Handal, el hermano de Schafik. Solo ha quedado su hija, Ana María, casada con El Cacho. También estaba Mariano Carranza, que era ladrillero y trabajaba en la misma fábrica que Víctor Rivera.

En 1969 llego la directriz de la dirección del Partido que debía de trasladarme a San Salvador. Fue todo un debate ya que mis compañeros del CD se oponían a este traslado. La dirección mandó a Blas Escamilla, que era del CC, para que llegara a explicar las razones y pasamos toda una noche discutiendo, hasta que al final se decidió acatar la decisión. Al irme asume la dirección del CD el profesor Alfredo Pineda y cuando este es exiliado a Costa Rica en 1972, asume Orlando Guerrero Chamul, dirigente de ANDES 21 de Junio, que es asesinado en 1980.”

En San Salvador

Al llegar a San Salvador en 1969 me integran al trabajo de la CNO. Asumo la responsabilidad de atender políticamente al occidente del país, Santa Ana, Ahuachapán y Sonsonate. En Ahuachapán había una célula y el contacto era el Profesor Preza. En Sonsonate había más trabajo, estaba Ricardo Erazo, del sindicato de la electricidad, Carlos “El Quemado” Castro, que tenía un taller de muebles de mimbre; David Pereira, que era el responsable y que después se incorporó a la CNO; Adán Rosales, que era de Metalío y pertenecía a la Comisión Campesina; Roberto Manchan ; Bartolo, que había sido antes del CC, era de origen indígena, había participado en el levantamiento del 32, y vivía en un ranchito a la orilla del río de Caluco.

En el VI Congreso de 1970, Rafael Aguiñada (Mateo) David Pereira (Pedro) Héctor Acevedo (Octavio) y mi persona (Milton o Nery) somos electos para integrar el Comité Central. Daniel Castaneda (Pío) sale del comité central pero se queda en la CNO. Los cinco pasamos a integrar la CNO. También estaba Víctor Bonilla, “El Niño” que era de la CNO y además de la Comisión Militar. Estaba Raúl Granillo, que era de Usulutan.

Incluso a mediados de los setenta, se integra Jorge Molina, Candelita, en representación de la Juventud Comunista, (JC) y pasa a formar parte de la CNO. Y entonces Peter, como le decíamos a Pedro, pasa a atender Sonsonate. Pero luego tanto Pedro como Octavio salen a estudiar a la URSS.

En septiembre de 1975, luego del asesinato de Mateo paso a ser el responsable de la CNO, y en el 76 soy electo como secretario general de la Directiva Suprema del partido UDN. Pasó a sustituir a Octavio Velasco, que estaba casado con una chilena y fue simpatizante del Partido, posteriormente fui sustituido en este cargo por Mario Aguiñada.

Y antes de Octavio había estado el Ing. Agrónomo Carlos Rivera, camarada del Partido de Chalchuapa, que fue el primer secretario general en 1970 y que fue asesinado. Cuando era secretario general, el presidente del UDN era Mario Inclan, el síndico era Dagoberto Gutiérrez, estaba Rosario Luna, Raúl Vargas “El Bachi”, el “Tío” Julio Salazar, y un compañero de apellido Prieto.

En 1977 soy capturado por la Policía Nacional y se me trata de involucrar con la muerte del canciller Borgonovo. Me mantienen 52 días secuestrado, torturándome brutalmente. Niegan mi captura y soy liberado hasta el 1 de julio de ese año, cuando asume la presidencia el General Romero. En términos generales, durante mi militancia en el PCS sobreviví a cinco capturas.

En el VII Congreso en abril de 1979 soy ratificado como responsable de la CNO. Fíjate que ya a finales del 80 como resultado del viraje a la lucha armada, la CNO dejó de funcionar y la mayoría de decisiones eran militares, en función de la guerra. En los primeros años de los ochenta, la mayoría de la CP salió, únicamente nos quedamos Eduardo, Hugo, El Bachi y mi persona.

El 8 de junio de 1983 fui de nuevo capturado mi quinta captura por la Policía Nacional. Y con casi toda mi familia, incluyendo mi mujer Rosa Ada, a sus hijas Irma Angélica Soto y Ana del Carmen Soto, a la esposa de un hermano mío, mi cuñada Hilda Leal de Negro, a su hijo Oscar Humberto Negro, a una señora que estaba de visita, a mi hijo Ernesto Acosta, que era su segunda captura y a mi persona, en total ocho capturados.

Nos mantuvieron a mí, mi hijo y mi cuñada en una cárcel clandestina a la que se entraba por un gran portón negro. Cuando llegue me sorprendió que alguien me saludo con mucha confianza: Hola Nery, dos años de no verte… Estuvimos de nuevo secuestrados. Ponían la música a todo volumen para que no se oyeran nuestros gritos de dolor por las torturas. A los demás los trasladaron a la PN. Por cierto Ana del Carmen al salir de la cárcel me pidió irse para el frente y pude hacer los arreglos, se fue para el monte y allá colaboró en la enfermería y cocina del FMLN.

Pasamos así una semana secuestrados, y luego nos trasladaron a la Policía Nacional. Al llegar había una fila y un policía anotaba el ingreso. Iba vendado de los ojos pero la tela era delgada y podía ver algo por lo que note que tirado en el suelo se encontraba también vendado el camarada Rafael “Lito” Sandoval, que era el dueño de la Tenería El Búfalo allá en Santa Ana. Y lo curioso era que estaba esposado a la pata de una silla de mi propiedad que él precisamente me había obsequiado cuando me case, formaba parte de un juego de poltrones muy fino.

O sea que después de capturarnos habían saqueado la casa y eso explicaba la presencia del mueble en el cuartel central de la PN. Observe que él solo escucho mi nombre y el motivo por el que me llevaban, por comunista. El ya estaba ahí cuando llegue. Después me contaba, mirá yo escuche cuando el policía te preguntó porque te llevaban: “por ser del Partido Comunista.” Dos años después, en el 85, asesinaron a Lito frente a su casa.

Luego nos pasaron a los hombres a Mariona y a las mujeres a cárcel de Mujeres. En Mariona me encontré con antiguos amigos: Carlos Ruiz, “El Diablito” y Carlos Castaneda, “El Viga” actual vicecanciller, el Dr. Ángel Ibarra, un compañero que lo conocían como La Voz de la Ternura y que tenía un molino en San Jacinto, y lo mataron después de los Acuerdos de Paz, Omar Quintanilla “Rocanrroliyo” y otros.

Ya estando en Mariona, como mes y medio después de haber llegado como familia y también como Partido sufrimos otro rudo golpe. Fíjate que capturan al esposo de Ismenia, mi hija mayor, de nombre Ernesto Cornejo Álvarez. El tenía un taller de zapatería y aunque ya no estaba militando, había aceptado colaborar con las FAL fabricando botas para los combatientes. Al llegar a Mariona el Chele Neto me informó que habían capturado alguien de la estructura de logística y los había denunciado. LO complicado para mi eran mis seis nietos, que quedaban desamparados.

Para ese tiempo Lucio ya había salido del penal. Estuve seis meses preso y luego me decretaron la orden de libertad. A principios del año 84 me encontraba ya en Managua, Nicaragua, con nuevas responsabilidades en la conducción partidaria, incluyendo la atención del Comité de Managua, atender delegaciones y visitas, cumplir tareas internacionales de solidaridad, estuve en la URSS y Suecia.

El mundo de los dos pulgares

El mundo de los dos pulgares
Sergio Ramírez
El Faro / Publicado el 22 de Noviembre de 2014

Siempre me ha seducido imaginar a un monje medioeval de esos que habían pasado la vida entera copiando libros a mano en el encierro de los conventos, cuando una mañana oye gritar desde la calle que se ha inventado una máquina portentosa para imprimir los libros en decenas de copias; y este viejo monje de mi imaginación piensa, con susto y tristeza, que su antiguo oficio manual ya no servirá de nada en el futuro y, por tanto, sólo quedan para él el olvido y la muerte; y cuando la polilla se coma los pergaminos en los que ha trabajado toda su vida, se lo comerá también a él.

Este monje, a lo mejor medio sordo, de modo que el pregón que anunciaba la invención de la imprenta entró apagado a sus oídos, sólo tenía una manera de no ser comido por la polilla, y era colgar los hábitos, salir a la calle, buscar uno de los talleres donde se imprimían libros, preguntar, indagar, meterse entre los tipógrafos, aprender a componer planas con los tipos móviles de madera, enterarse de cómo funcionaban las prensas manuales, de cómo trabajaban los encuadernadores. Y aceptar, antes de nada, que el mundo tan antiguo en el que había vivido se hundía para siempre en las tinieblas, y que él, en lugar de quedarse a ciegas, debía asumir como propio el valiente mundo nuevo que se abría ante sus ojos dañados de tanto copiar.

A veces me siento como ese viejo monje, confundido y desorientado en medio de la nutrida selva de invenciones, donde se agrega un nuevo árbol que nace cada noche y a la mañana siguiente ya ha desarrollado su follaje, y donde los libros, que se imprimen digitalmente o se leen en las pantallas, también digitalmente, no son más que uno de esos árboles conectados entre todos por la tecnología cibernética, igual que el cine, la música, la información, el entretenimiento, la vigilancia policial, el agua potable, la electricidad, las compras a domicilio, los juegos, los viajes aéreos, los drones, el funcionamiento de los automóviles, los trenes, los semáforos en las esquinas.

La vida diaria en un solo puño electrónico. Un libro, una tarjeta de crédito, un boleto. Nuestra memoria vive en una nube, es decir, la memoria de la humanidad archivada en la nada virtual. Lo que escribo cada día, lo que invento, lo que medito, es registrado de manera inmaterial, tanto que cuando apago la computadora mis palabras regresan a esa nada virtual, y sólo volverán delante de mí cuando yo las convoque. No necesito viajar con ellas; adonde llegue, me estarán esperando para bajar a mí desde la nube.

Todo esto sería demasiado para el monje de mi historia, pero alguien como yo, que empezó tecleando en las máquinas de escribir mecánicas de cinta de seda de dos colores, creció con la radio imaginando a los personajes encarnados en las voces, con los telegramas que se pagaban por palabra, y con los teléfonos de manubrio, debe librar una lucha a brazo partido con ese ángel de la ultra modernidad que cambia en cada momento de figura, y al que si no logro asir en mi abrazo, al rayar el alba se alejará y me dejará derrotado; e igual que Jacob en la historia bíblica debo decirle: no te soltaré si no me bendices.

Si te quedas atrás, sino entras en ese cono de luz, lo que te espera es la oscuridad, y la soledad. No estarás conectado, no podrás comunicarte, no sabrás de qué están hablando los demás, que son en su inmensa mayoría jóvenes. No podrás ni siquiera viajar. Aún me acerco con terror a las máquinas que te dan en los aeropuertos los pases de abordar; de repente hay aún un empleado piadoso que te auxilia, pero pronto desaparecerán. Pronto tampoco habrá nadie en la ventanilla cuando quieras comprar un boleto para entrar al cine.

Alguien de mi generación se quejaba delante de mí hace poco, de lo caótico que es el mundo de las redes sociales. No lo es, le decía yo. Es que lo estás mirando desde fuera. Si vives dentro, si aprendes a conocer bien esas reglas juveniles que lo animan, te vas a dar cuenta de su lógica, de cómo funcionan a cabalidad los códigos de la comunicación que los adolescentes han inventado para nosotros. Tienes que aprender a usar la carita feliz, las abreviaturas, los neologismos que te parecen tan arbitrarios, tienes que aceptar que el idioma es hoy más híbrido y mutable que nunca, tienes que saber usar los dos pulgares para escribir porque se acabó la era de la digitación con los demás dedos. Esta es, provisionalmente, la era de los pulgares, mientras llega la de escribir con el pensamiento.

Quizás siempre hubo un abismo entre generaciones, me dirá mi amigo, esta misma dificultad de acomodo, esta misma preocupación por no quedarse atrás, aislado en el páramo. Soy el primero en aceptarlo, por eso empecé contando la historia de mi monje medioeval con los dedos artríticos manchado de tinta, que oye gritar más allá de los muros de su cárcel cultural que afuera ocurre un cataclismo después del cual el paisaje ya no será nunca el mismo.

Pero este cataclismo que nos toca, es el cambio más radical de civilización que ha vivido la humanidad, y apenas empieza. Apenas cimbra con sus primeros movimientos telúricos la tierra. Y si te traga una de las grietas que se abrirán mientras huyes, no volverás a ver la luz del sol jamás.

La vejez es entonces eso, quedarse fuera, no entender que el mundo es otro, y que para vivir en él es necesario adaptarse, como ha sucedido a lo largo de los milenios con todas las especies sobre la faz de la tierra. Y ahora apago la computadora, y mando estas palabras a la nube que navegaba invisible sobre mi cabeza.

San José, Costa Rica, noviembre 2014

Discurso de Putin en Valdai

Discurso de Putin en Valdai

http://salsaru sa.blogspot.com.ar

Se ha citado mucho el discurso de Putin en la reunión del grupo Valdai. Muy interesante, y por tanto evitado por la prensa hispana. Aquí está la traducción de la transcripción del mismo:

Estimados colegas, señoras y señores, queridos amigos: es un placer darles la bienvenida a esta XI conferencia del club de discusión “Valdai”.

Ya se ha dicho aquí que este año en el club hay nuevos coorganizadores, entre ellos organizaciones no gubernamentales rusas, grupos de expertos y grandes universidades. Además se ha expresado la idea de ampliar la discusión para incluir no sólo la problemática rusa sino también cuestiones de política y economía globales.

Espero que estos cambios organizativos y de contenido refuercen las posiciones del club como un importante foro de discusión y de reunión de expertos. Con ello espero que el así llamado espíritu de Valdai pueda mantenerse: su libertad, apertura, posibilidad de expresar las más distintas opiniones y con ello las opiniones sinceras.

En este sentido quiero decirles que no les voy a decepcionar, voy a hablar clara y sinceramente. Algunas cosas pueden parecer duras. Pero si no habláramos directa y sinceramente de lo que realmente pensamos no tendría sentido reunirnos en este formato. Sería mejor, en tal caso, mantener los encuentros diplomáticos donde nadie dice nada en un sentido claro y real y, recordando las palabras de un famoso diplomático, caer en la cuenta de que los diplomáticos tienen lenguas para para no decir la verdad.

Nos reunimos aquí con otros objetivos. Nos reunimos para hablar sinceramente. Necesitamos la franqueza y dureza de las valoraciones hoy no para atacarnos mutuamente sino para intentar ir a fondo y entender qué es lo que en realidad sucede en el mundo, por qué es menos seguro y menos previsible, porqué por los riesgos crecen por doquier.

El tema del encuentro de hoy, de las discusiones que han tenido lugar se ha denominado “¿Nuevas reglas de juego o juego sin reglas?”. En mi opinión este tema, esta formulación, describe muy exactamente el histórico punto de inflexión en que nos encontramos y la elección que todos tendremos que hacer.

La tesis de que el mundo contemporáneo está cambiando muy rápidamente, por supuesto, no es nueva. Y sé que ustedes han hablado de ello en el curso de la discusión de hoy. Es cierto, es difícil no darse cuenta de las dramáticas transformaciones en la política global, en la economía, la vida social, en la esfera de las tecnologías sociales, de la información, de la producción.

Les pido disculpas desde ahora si repito lo expresado por algunos participantes en este foro. Es difícil evitarlo, ustedes han hablado en detalle, pero voy a expresar mi punto de vista, que puede coincidir o ser distinto de lo dicho por los participantes del fórum.

No olvidemos, al analizar la situación actual, las lecciones de la historia. En primer lugar los cambios en el orden mundial y los sucesos que estamos viendo hoy día son eventos de esta escala por regla general fueron acompañados si no por una guerra global o por choques globales, por una cadena de intensivos conflictos de carácter local. En segundo lugar, la política mundial es sobre todo acerca del liderazgo económico, cuestiones de la guerra y la paz, y la dimensión humanitaria, incluyendo los derechos humanos.

En el mundo se han acumulado numerosas contradicciones. Y debemos preguntarnos sinceramente unos a otros si disponemos de una red de seguridad confiable. Por desgracia no hay garantías de que el sistema existente de seguridad global y regional pueda protegernos de graves turbulencias. El sistema ha sido seriamente debilitado, fragmentado y deformado. Las instituciones internacionales y regionales de relaciones económicas, políticas y culturales viven tiempos difíciles.

Sí, muchos mecanismos de garantía del orden pacífico se crearon hace bastante tiempo, como consecuencia de la Segunda Guerra Mundial sobre todo. Permítanme subrayar que la solidez de este sistema se basaba no solo en el balance de fuerzas y en el derecho de los vencedores, sino también en que los “padres fundadores” de este sistema de seguridad se relacionaban respetuosamente unos con otros, no intentaban apretar o aplastar a los otros sino que trataban llegar a acuerdos.

Lo importante es que este sistema necesita desarrollarse, y a pesar de todos sus defectos necesita ser capaz de contener los problemas mundiales existentes dentro de ciertos límites y de regular la intensidad de la natural competencia entre países.

Estoy seguro de que no podemos tomar este mecanismo de pesos y contrapesos que construimos a lo largo de las décadas pasadas con tanto esfuerzo y dificultades y destruirlo sin construir algo en su lugar. En tal caso no habría instrumentos salvo la fuerza bruta. Lo que necesitamos hacer es llevar a cabo una reconstrucción racional y adaptarlo a las nuevas realidades del sistema de relaciones internacionales.

Sin embargo los Estados Unidos, que se han declarado a sí mismos vencedores de la Guerra Fría, han pensado que no había ninguna necesidad de ello. Y en lugar de establecer un nuevo balance de poder, condición indispensable del orden y estabilidad, al contrario, han dado pasos que han llevado al sistema a una aguda y profunda desestabilización.

La Guerra Fría terminó. Pero no lo hizo con una declaración de “paz” mediante acuerdos comprensibles y transparentes de observancia de las normas y estándares existentes o de creación de unos nuevos. Esto creó la impresión de que los así llamados “vencedores” en la Guerra Fría decidieron presionar los eventos y rediseñar al mundo de tal suerte que sirviera para satisfacer sus necesidades e intereses. Y si el sistema existente de relaciones internacionales, el derecho internacional y los pesos y contrapesos en operación entorpecían el logro de estos objetivos, entonces el sistema era denunciado como inválido y anticuado y promovían su inmediata demolición.

Perdón por la analogía, pero así se comportan los nuevos ricos, que de repente obtienen una gran riqueza, en este caso en forma de dominación mundial, liderazgo mundial. Y en lugar de, con esta riqueza, comportarse sabiamente y con cuidado, incluso claro está, en su propio beneficio, pienso que han hecho muchos disparates.

Ha comenzado un periodo de diferentes interpretaciones y deliberados silencios en la política mundial. Bajo la arremetida del nihilismo legal el derecho internacional ha venido retrocediendo paso a paso. La objetividad y la justicia han sido sacrificadas en el altar de la conveniencia política. Las normas jurídicas han sido sustituidas por interpretaciones arbitrarias y valoraciones sesgadas. Además, el control total de los medios de comunicación globales ha permitido hacer pasar lo blanco por negro y lo negro por blanco.

En las condiciones de dominio de un país y sus aliados o por decirlo de otra manera, sus satélites la búsqueda de soluciones globales se ha convertido muy a menudo en una tentativa de imponer sus propias recetas universales. Las ambiciones de este grupo han crecido tanto que las políticas que ellos acuerdan en los corredores del poder las presentan como si fueran la opinión de toda la comunidad internacional. Pero eso no es así.

El propio concepto de “soberanía nacional” para la mayoría de los países se ha convertido en algo relativo. En esencia, se propuso la siguiente fórmula: cuanto mayor sea la lealtad al solo centro de poder mundial tanto mayor será la legitimidad de este o aquel régimen de gobierno.

Luego tendremos una discusión libre, y con mucho gusto contestaré a las preguntas y me gustaría también ejercer mi derecho para hacer preguntas. Pero en el curso de esta discusión traten de refutar la tesis que acabo de formular.

Las medidas contra los que se rehúsan a someterse son bien conocidas y han sido probadas muchas veces. Incluyen el uso de la fuerza, presión económica y propagandística, injerencia en asuntos internos, apelación a cierta legitimidad“supralegal” cuando hay que justificar una solución ilegal en este o aquel conflicto y el derrocamiento de regímenes molestos. En los últimos tiempos hemos sido testigos de un chantaje abierto en contra determinados líderes. No en vano el llamado “gran hermano” gasta miles de millones de dólares en mantener a todo el mundo, incluidos sus aliados más cercanos, bajo vigilancia.

Hagámonos la pregunta de hasta qué punto vivimos confortablemente, seguros y felices en un mundo así, hasta qué punto es justo y racional. ¿Puede ser que no tengamos motivos verdaderos para preocuparnos, discutir, o formular preguntas incómodas o torpes? ¿Puede ser que la excepcionalidad de los Estados Unidos, tal y como ellos ejercen su liderazgo, sean realmente una bendición para todos nosotros, y que su continua injerencia en los asuntos de todo el mundo esté trayendo paz, prosperidad, progreso, crecimiento, democracia y simplemente tengamos que relajarnos y gozar?

Me permito decir que no, que absolutamente este no es el caso.

El dictado unilateral y la imposición de los propios modelos produce el efecto contrario: en vez de solucionar los conflictos, estos escalan en intensidad; en vez de estados soberanos y estables vemos la creciente diseminación del caos; y en vez de democracia, el apoyo a un muy dudoso grupo que va desde los neofascistas hasta el radicalismo islámico.

¿Y por qué apoyan a esta gente? Porque los utilizan en alguna etapa como instrumento para lograr sus fines, después se queman sus dedos y se echan hacia atrás. No dejo de sorprenderme cuando veo que nuestros socios una vez tras otra caen en el mismo agujero, es decir, cometen el mismo error una y otra vez.

En su tiempo financiaron movimientos islamistas extremistas para luchar contra la Unión Soviética. Esos grupos adquirieron experiencia de combate en Afganistán y de allí luego salieron el Talibán y Al Qaeda. Occidente, si no les apoyó, al menos cerró los ojos, y yo diría que aportó información y apoyo político y financiero a la invasión de los terroristas internacionales a Rusia (no hemos olvidado esto) y a los países de Asia Central. Solo tras los horribles ataques cometidos en Estados Unidos se despertaron ante la amenaza común del terrorismo. Recuerdo que entonces fuimos los primeros en apoyar al pueblo de los Estados Unidos de América, reaccionamos como amigos y socios en esta terrible tragedia del 11 de septiembre.

Durante mis conversaciones con líderes europeos y de los Estados Unidos siempre hablo de la necesidad de una lucha conjunta con el terrorismo, como tarea global. En esta tarea no podemos rendirnos y resignarnos ante la amenaza; tampoco podemos dividirla en partes separadas, usando dobles raseros. Al principio estuvieron de acuerdo con nosotros, pero al poco tiempo todo volvió a ser como antes. Primero la operación militar en Irak, y luego en Libia. Este país, por cierto, quedó al borde de la disolución. ¿Por qué Libia fue empujada a esa situación? Ahora está en peligro de destrucción total y se ha convertido en un campo de entrenamiento de terroristas. Solo la voluntad e inteligencia de la actual dirección en Egipto ha permitido a este crucial país árabe salir del caos y el dominio total del extremismo. En Siria, como en otros tiempos, los Estados Unidos y sus aliados comenzaron a financiar y armar directamente a los rebeldes y permitiéndoles engrosar sus filas con mercenarios de distintos países. Permítanme preguntar ¿de dónde obtienen estos rebeldes el dinero, las armas y los especialistas militares. ¿De dónde viene todo esto? ¿Por qué el Estado Islámico se ha convertido en un grupo tan poderoso, una fuerza esencialmente armada?

En lo referente a la financiación, hoy el dinero no proviene solo de los ingresos por drogas cuya producción, por cierto, ha aumentado en varios órdenes de magnitud, y no solo un pequeño porcentaje durante la presencia de las fuerzas internacionales en Afganistán. Ustedes saben esto, por supuesto. La financiación proviene también de la venta de petróleo, su extracción y transporte en territorios controlados por los terroristas. Lo venden a precios de dumping, y hay alguien que se los compra, lo revende, gana dinero con ello sin pensar en que está financiando a los terroristas que tarde o temprano vendrán a su territorio y sembrarán la muerte en su país.

¿Y los reclutas, de dónde vienen los nuevos reclutas? En Irak como resultado del derrocamiento de Sadam Hussein las instituciones estatales, incluido el ejército, quedaron en ruinas. Entonces dijimos: tengan mucho, mucho cuidado. Ustedes están mandando a esa gente a las calles. ¿Qué van a hacer? No olviden que –justamente o no- ellos estaban en posiciones de mando de una potencia regional relativamente grande. ¿En qué los están convirtiendo ahora?

¿Qué sucedió? Que decenas de miles de soldados y oficiales, antiguos activistas del partido Baaz, arrojados a la calle, se unieron a las filas de los rebeldes. ¿Puede ser que ahí esté la clave de la efectividad del Estado Islámico, o ISIS? Actúan de una manera muy efectiva desde el punto de vista militar, son gente muy profesional. Rusia ha advertido en repetidas ocasiones sobre el peligro de acciones armadas unilaterales, las injerencias en los asuntos de estados soberanos, y el flirteo con grupos extremistas y radicales. Hemos insistido en la necesidad de incluir a los grupos que luchan contra el gobierno central de Siria, incluido el ISIS, en la lista de organizaciones terroristas. ¿Cuál ha sido el resultado? Ninguno. Hemos hecho esa apelación en vano.

A veces tenemos la impresión de que nuestros colegas y amigos luchan constantemente contra los resultados de su propia política, dedican sus esfuerzos a luchar contra los riesgos que ellos mismos han creado, pagando por ello un precio cada vez mayor.

Estimados colegas. Este periodo de dominación unipolar ha demostrado claramente que el dominio de un solo centro de poder no lleva al aumento de la gobernabilidad de los procesos globales. Al contrario esta endeble construcción ha mostrado su incapacidad para luchar contra amenazas tales como los conflictos regionales, el terrorismo, el narcotráfico, el fanatismo religioso, el chauvinismo y el neonazismo. Al mismo tiempo el unipolarismo ha abierto un ancho camino para un hipertrofiado orgullo nacional, manipulando a la opinión pública para consentir que el fuerte acose y suprima al más débil. Esencialmente el mundo unipolar es simplemente un medio para justificar la dictadura sobre los pueblos y los países. El mundo unipolar se convirtió en algo demasiado incómodo, una carga demasiado pesada e inmanejable incluso para su autoproclamado líder. Se han escuchado aquí comentarios sobre ello y yo estoy totalmente de acuerdo con lo que aquí se dijo. De ahí vienen los actuales intentos, ya en una nueva etapa histórica, de recrear algo parecido a un mundo cuasibipolar como un modelo conveniente de perpetuación del liderazgo americano. Es irrelevante quien ocupa el lugar del “centro del mal” en la propaganda americana, el viejo lugar de la URSS como el principal adversario. Podría ser Irán, como país que intenta acceder a tecnología nuclear; China como primera economía del mundo; o Rusia como superpotencia nuclear.

Hoy día vemos de nuevo intentos de fragmentar el mundo, trazar nuevas líneas de división, establecer coaliciones no creadas “a favor de” sino en “contra de”quien sea, crear de nuevo la imagen de un enemigo, como se hizo durante la Guerra Fría, y conseguir el derecho al liderazgo, o si lo prefieren, el derecho dictar condiciones. Así es como se trataba la situación durante la época de la Guerra Fría, todos lo sabemos y comprendemos. A sus aliados los Estados Unidos siempre les decían: “tenemos un enemigo común, un rival terrible, es el centro del mal y los estamos defendiendo de él. Por ello tenemos derecho a dirigirlos, obligarlos a sacrificar sus intereses políticos y económicos y hacerlos pagar su cuotaparte de los costos de esta defensa colectiva, pero naturalmente nosotros seremos quienes estarán a cargo de todo eso.” En una palabra, hoy en un mundo nuevo y cambiante es otra vez evidente el intento de reproducir estos modelos habituales de dirección y manejo global para garantizar la excepcional posición de Estados Unidos y cosechar dividendos políticos y económicos.

Pero estos intentos están crecientemente divorciados de la realidad y en contradicción con la diversidad del mundo e indefectiblemente crearán enfrentamientos y reacciones de respuesta que finalmente tendrán el efecto contrario al anhelado. Todos vemos lo que sucede cuando la política se mezcla imprudentemente con la economía y la lógica de las decisiones racionales cede su lugar a la lógica de la confrontación, que sólo perjudica a las propias posiciones e intereses económicos, incluidos los intereses económicos del país.

Los proyectos económicos conjuntos y las inversiones mutuas acercan objetivamente a los países, ayudan a suavizar los problemas actuales en las relaciones entre los estados. Sin embargo hoy día la comunidad económica global sufre una presión sin precedentes por parte de los gobiernos occidentales. ¿De qué negocios, de qué pragmatismo y conveniencia económicas podemos hablar cuando escuchamos slogans tales como “la patria está en peligro”, “el mundo libre está amenazado” y “la democracia está en riesgo”? Ante esto, todos (en Occidente) necesitan movilizarse. Pero aquellos slogans son los que constituyen una verdadera política de movilización.

Las sanciones están socavando las bases del comercio mundial, las normas de la OMC y los principios de la inviolabilidad de la propiedad privada. Golpean fuertemente al modelo liberal de globalización basado en los mercados, la libertad y la competencia; un modelo, permítanme recordarlo, cuyos máximos beneficiarios han sido precisamente los países occidentales. Ahora se arriesgan a perder la confianza que gozaban como líderes de la globalización. Nos preguntamos, ¿era necesario hacer esto? Después de todo el bienestar de los propios Estados Unidos depende en gran medida de la confianza de los inversores, de los poseedores extranjeros de dólares y bonos del Tesoro americano. Ahora la confianza se está minando y señales de desilusión acerca de los frutos de la globalización aparecen en muchos países.

El precedente de Chipre y la motivación política de las sanciones sólo acentuaron las tendencias hacia el fortalecimiento la soberanía económica y financiera de los países, o sus uniones regionales, para buscar los modos de protegerse de los riesgos de las presiones externas. Así, cada vez más países intentan salir de la dependencia del dólar y crean sistemas financieros y contables alternativos y nuevas monedas de reserva. En mi opinión nuestros amigos americanos simplemente están cortando la rama en la que están sentados. No hay que mezclar la política con la economía, pero precisamente esto es lo que está sucediendo ahora. Pensaba y sigo pensando que las sanciones motivadas políticamente son un error que produce daño a todos, pero estoy seguro de que más tarde hablaremos de esto.

Sabemos cómo se tomaron esas decisiones y quién ejerce la presión. Pero permítanme llamar su atención sobre esto: Rusia no se doblegará antes las sanciones, ni será lastimada por ellas ni la verán llegar a la puerta de alguien para mendigar ayuda. Rusia es un país autosuficiente. Vamos a trabajar dentro del ambiente económico internacional existente, desarrollar nuestra producción y tecnología y actuar de forma decidida para realizar las transformaciones que sean necesarias. La presión desde afuera, como ocurriera en anteriores ocasiones, sólo tendrán como resultado consolidar nuestra sociedad, mantenernos alertas y concentrados en nuestros principales objetivos de desarrollo.

Las sanciones, por supuesto, son un estorbo. Con ellas intentan hacernos daño, bloquear nuestro desarrollo, aislarnos política, económica y culturalmente; es decir, condenarnos al atraso. Pero déjenme decirles nuevamente que hoy el mundo es un lugar muy diferente. No tenemos la menor intención de encerrarnos, eligiendo un camino de desarrollo cerrado que nos lleve a vivir en una autarquía. Siempre estamos dispuestos al diálogo, incluso para la normalización de las relaciones económicas y políticas. Contamos para ello con las posturas y comportamientos pragmáticos de las comunidades de negocios de los principales países.

Hoy se oye afirmar que Rusia vuelve la espalda a Europa, seguramente se ha oído en el transcurso de esta discusión, y que está buscando otros socios comerciales, sobre todo en Asia. Quiero decir que esto no es así en absoluto. Nuestra política activa en la región de Asia-Pacífico no ha comenzado ayer ni como respuesta a las sanciones, sino que es una política iniciada hace muchos años. Tal como muchos otros países, incluidos los occidentales, nosotros vemos que Asia juega un papel cada vez mayor en el mundo, tanto en la economía como en la política, y no podemos darnos el lujo de subestimar o ignorar estos desarrollos.

Quiero recalcar de nuevo que todos lo hacen, y nosotros lo haremos, tanto más cuando una parte significativa de nuestro territorio está en Asia. ¿Por qué deberíamos abstenernos de utilizar nuestra ventaja competitiva en esta área? Eso sería simplemente miopía, una grave falta de visión a largo plazo.

Desarrollar relaciones económicas con esos países y realizar proyectos conjuntos de integración también crean grandes incentivos para nuestro desarrollo interno. Las actuales tendencias demográficas, económicas, y culturales nos dicen que la dependencia de una única superpotencia disminuirá objetivamente. Esto es lo que los expertos europeos y norteamericanos han estado hablando y escribiendo también ellos.

Probablemente los desarrollos en la política mundial reflejarán los mismos hechos que estamos viendo en la economía global: una competencia fuerte en nichos específicos y frecuentes cambios de líderes en áreas específicas. Esto es enteramente posible.

Es indudable que los factores humanos: la educación, la ciencia, la sanidad, la cultura jugarán un papel creciente en la competición global. Esto, por su parte, impacta fuertemente sobre las relaciones internacionales, porque la eficacia de este soft power (“poder blando”) dependerá en gran medida de los logros reales en la formación del capital humano más que en sofisticados trucos de propaganda.

Al mismo tiempo, la formación del llamado mundo policéntrico (también quiero llamar la atención sobre esto, estimados colegas) en y por sí mismo no mejora la estabilidad; de hecho, lo más probable es lo contrario. El objetivo de lograr un equilibrio global se transforma en un complicado rompecabezas, en una ecuación con muchas incógnitas.

¿Qué nos espera, por lo tanto, si elegimos no vivir por esas reglas aun cuando sabemos que podrían estrictas e inconvenientes sino vivir sin ninguna regla? Precisamente este escenario es enteramente posible; no lo podemos descartar dadas las tensiones de la situación global. Se pueden hacer muchas predicciones al observar las tendencias actuales, pero por desgracia aquellas no son optimistas. Si no creamos un sistema claro de obligaciones mutuas y de acuerdos, si no construimos un mecanismo de manejo y resolución de las situaciones de crisis los síntomas de anarquía global aumentarán inevitablemente.

Ya hoy en día vemos un rápido crecimiento de las posibilidades de una serie de violentos conflictos con la participación directa o indirecta de las grandes potencias. Y los factores de riesgo incluyen no solo las tradicionales confrontaciones entre países sino también la inestabilidad interna de algunos países, sobre todo de los situados en la intersección de los intereses geopolíticos de las grandes potencias, o en la frontera de las grandes zonas histórico-culturales, económicas y civilizatorias.

Ucrania, de la cual estoy seguro de que se ha discutido mucho y de la que hablaremos aún más, es uno de los ejemplos de este tipo de conflictos que afectan el balance mundial de fuerzas, y creo que está lejos de ser el último. De ahí viene la siguiente amenaza real de destrucción del sistema de acuerdos sobre limitación y control de armas. Y el comienzo de este proceso fie causado por los Estados Unidos cuando en 2002 y de manera unilateral abandonó el Tratado de Misiles Antibalísticos, y después comenzó, y hoy continúa activamente, a crear su sistema misilístico de defensa global.

Estimados colegas, amigos: quiero llamar su atención sobre el hecho de que no hemos sido nosotros quienes comenzaron este proceso. Estamos volviendo a aquellos tiempos en que en lugar del equilibrio de intereses y garantías mutuas era el miedo, el balance de autodestrucción, lo que alejaba a las naciones del conflicto directo. A falta de instrumentos legales y políticos las armas vuelven una vez más al centro de la agenda global. Se utilizan donde conviene y como conviene, sin ninguna sanción del Consejo de Seguridad de la ONU. Y si el Consejo de Seguridad rechaza adoptar tales decisiones, inmediatamente se dice que es un instrumento anticuado e inefectivo.

Muchos estados no ven otras garantías de su soberanía que crear sus propias bombas. Esto es extremadamente peligroso. Somos partidarios de conversaciones continuas, e insistimos en la necesidad de conversaciones para disminuir los arsenales atómicos. Cuanto menos armamento atómico haya en el mundo, tanto mejor. Y estamos dispuestos a las más serias y concretas conversaciones sobre la cuestión del desarme atómico. Pero discusiones serias, sin dobles estándares.

¿Qué quiero decir? Hoy día muchos tipos de armas de gran precisión son, por su capacidad destructiva, casi armas de destrucción masiva. Y en el caso de una renuncia plena al arsenal nuclear o disminución crítica del mismo, el país que ostente el liderazgo en la creación y producción de estos sistemas de alta precisión tendrá una clara ventaja militar. Se romperá la paridad estratégica, lo cual muy probablemente tendrá un efecto desestabilizador y aparecerá la tentación de usar el llamado “primer ataque preventivo global”. En una palabra, los riesgos no disminuirán, sino que aumentarán.

La siguiente amenaza evidente es el aumento de los conflictos étnicos, religiosos y sociales. Esos conflictos son peligrosos no solo por sí mismos, sino también porque crean zonas de anarquía, de ausencia de toda ley y de caos, donde se sienten a gusto los terroristas y los criminales, y florecen la piratería y el tráfico de personas y drogas.

Por cierto, nuestros colegas en su momento intentaron dirigir estos procesos, utilizar los conflictos regionales y construir “revoluciones de colores” para satisfacer sus intereses, pero el genio se les escapó de la botella. Parece que ni los padres de la “teoría del caos controlado” saben qué hacer con el caos provocado y cunde la división y las dudas entre ellos.

Seguimos muy de cerca las discusiones en las élites dirigentes y entre los expertos. Basta con leer los titulares de la prensa occidental durante el último año: la misma gente a la que llamaban luchadores por la democracia después son caracterizados como islamistas; al principio hablaban de revoluciones y después de tumultos y revueltas. El resultado es evidente: una mayor expansión del caos global.

Estimados colegas: dada esta situación global es hora de comenzar por acordar sobre ciertas cuestiones de principio. Esto es tremendamente importante y necesario, y es mucho mejor que separarnos y regresar cada uno a su rincón. Tanto más cuando nos enfrentamos a problemas comunes y estamos, como se dice, en el mismo barco. El camino lógico para salir de esta situación es la cooperación entre naciones y sociedades, buscando respuestas colectivas a los múltiples desafíos y una gestión común en el manejo de los riesgos. Claro, algunos de nuestros socios, por algún motivo, solo se acuerdan de esto cuando conviene a sus intereses.

La experiencia práctica muestra que las respuestas conjuntas a los problemas no son siempre una panacea; por supuesto, hay que reconocerlo. Además en la mayoría de los casos son difíciles de conseguir: no es fácil superar las diferencias en los intereses nacionales y la subjetividad de los diferentes enfoques, sobre todo cuando se trata de países con una tradición cultural e histórica diferente. Pero hay ejemplos que demuestran que cuando hay objetivos comunes y actuamos en base a criterios unificados podemos conjuntamente lograr éxitos reales.

Permítanme recordarles la solución del problema de las armas químicas en Siria, el diálogo sustantivo sobre el programa nuclear iraní y nuestro trabajo en la cuestión norcoreana, que también ha tenido algunos resultados positivos. ¿Por qué no utilizar toda esta experiencia tanto para la solución de problemas locales como globales?

¿Cuál debería ser el fundamento legal, político y económico del nuevo orden mundial que garantice la estabilidad y seguridad, que garantice la sana competencia y no permita la formación de nuevos monopolios que bloqueen el desarrollo? Es poco probable que alguien pueda ahora dar una respuesta ya hecha, absolutamente exhaustiva, a esta cuestión. Se necesita un largo trabajo con la participación de un amplio círculo de países, empresas globales, sociedades civiles y de foros de expertos como el nuestro.

Sin embargo es evidente que el éxito y un resultado real solo será posible si los participantes clave de la vida internacional pueden armonizar sus intereses básicos, sobre la base de una lógica autolimitación, y dan un ejemplo de liderazgo responsable y positivo. Hay que definir claramente hasta dónde pueden llegar las acciones unilaterales y dónde y cuándo deben aplicarse mecanismos multilaterales. Y para mejorar la efectividad del derecho internacional debemos resolver el dilema entre las acciones de la comunidad internacional para garantizar la seguridad y los derechos humanos y el principio de la soberanía nacional y la no injerencia en los asuntos internos de los países.

Ese tipo de colisiones llevan cada vez más a menudo a la injerencia extranjera arbitraria en procesos internos muy complicados, y una vez tras otra provocan peligrosos conflictos entre los principales actores mundiales. El mantenimiento de la soberanía es un elemento supremamente importante para el mantenimiento y reforzamiento de la estabilidad mundial.

Está claro que la discusión sobre los criterios de utilización de la fuerza externa es muy complicada; es casi imposible separarla de los intereses de los diferentes países. Sin embargo es bastante más peligrosa la falta de acuerdos comprensibles por todos, ccuando no se establecen claramente las condiciones para que la injerencia sea necesaria y legal.

Añado a lo anterior que las relaciones internacionales deben construirse sobre el derecho internacional, en cuya base deben estar principios morales tales como la justicia, la igualdad y la verdad. Quizás lo más importante sea el respeto al socio y sus intereses. Es una fórmula obvia, pero que si se sigue puede cambiar de raíz la situación en el mundo.

Estoy seguro de que si existe voluntad podemos restablecer la efectividad del sistema de instituciones internacionales y regionales. No es necesario ni siquiera construir algo nuevo desde cero, esto no es un “greenfield”, un terreno virgen, tanto más cuando las instituciones creadas tras la Segunda Guerra Mundial son universales y pueden ser llenadas con contenidos modernos, adecuados para manejar la situación actual.

Esto es verdad en relación al mejoramiento del trabajo de la ONU, cuyo papel central es insustituible. Y de la OSCE, el Organismo para la Seguridad y la Cooperación Europeas, que a lo largo de 40 años ha probado ser un mecanismo para garantizar la seguridad y la cooperación en la zona euroatlántica. Hay que decir que ahora mismo, en la solución de la crisis en el sureste de Ucrania, la OSCE juega un papel muy positivo.

A la luz de los cambios fundamentales en el ambiente internacional, la creciente ingobernabilidad y las diferentes amenazas nos obligan a forjar un nuevo consenso entre las fuerzas responsables. No se trata de cualquier acuerdo local, o de una separación de esferas de influencia al estilo de la diplomacia clásica, o de la dominación completa y global de algún actor. Creo que se necesita una nueva versión de la interdependencia. No hay que tenerle miedo. Al contrario, es un buen instrumento para armonizar posiciones.

Esto es particularmente relevante si se toma en cuenta el fortalecimiento y crecimiento de determinadas regiones del planeta, lo que comporta la exigencia objetiva de institucionalizar la existencia de dichos polos creando potentes organizaciones regionales y elaborando normas para su interacción. La cooperación entre estos centros otorgaría una fuerza considerable a la seguridad mundial, a la política y la economía. Pero para conseguir éxito en tal diálogo hay que partir del supuesto de que todos los centros regionales y los proyectos de integración nacidos a su alrededor deben tener idéntico derecho a desarrollarse, de modo tal que puedan complementarse mutuamente y nadie pueda forzarlos a incurrir en conflictos u oposiciones artificiales. Acciones destructivas de este tipo romperían las relaciones entre estados, y ellos mismos atravesarían por situaciones muy difíciles, incluso llegando hasta su propia destrucción.

Quisiera recordarles los sucesos del año pasado. Entonces les dijimos a nuestros socios, tanto a los americanos como a los europeos, que decisiones apresuradas y a escondidas sobre, por ejemplo, la asociación de Ucrania a la Unión Europea, comportaban grandes riesgos. No dijimos nada sobre política, hablábamos solo de economía y decíamos que tales pasos, realizados sin ningún acuerdo previo, afectaba los intereses de muchas otras naciones, incluyendo a Rusia como el principal socio comercial de Ucrania, y que una amplia discusión sobre estos temas era necesaria. Por cierto, les recuerdo en relación con esto que el ingreso de Rusia, por ejemplo, a la OMC demandó 19 años. Esto supuso un duro trabajo, pero se consiguió un consenso.

¿Por qué traigo este tema a colación? Porque en la implementación del proyecto de asociación con Ucrania nuestros socios vendrán hacia nosotros ingresando sus bienes y servicios por una puerta trasera, para decirlo de algún modo, y nosotros no estamos de acuerdo con esto y nadie nos preguntó que opinábamos sobre esto. Tuvimos discusiones sobre todos los temas relacionados a la asociación de Ucrania con la UE, pero quiero recalcar que eso tuvo lugar de una manera totalmente civilizada, indicando los problemas posibles, mostrando argumentos y razones. Nadie quiso escucharnos ni hablar con nosotros, simplemente nos decían: “esto no es asunto vuestro; punto; fin de la discusión.” En lugar de un diálogo amplio y comprehensivo, pero, subrayo, civilizado, la controversia tomó otro rumbo y desembocó en un golpe de estado, llevaron al país al caos y el colapso económico y social y provocaron una guerra civil con muchísimas víctimas.

¿Por qué? Cuando pregunto a mis colegas por qué, no hay respuesta. Nadie responde nada, es así, punto. Todos quedan sin respuesta, o dicen que eso fue lo que sucedió. Pero si no se hubieran alentado tales acciones y actitudes y las cosas no habrían ocurrido como ocurrieron. Después de todo (ya hablé de esto) el anterior presidente de Ucrania Viktor Yanukóvich había firmado y aceptado todo. ¿Para qué hubo que hacer todo esto, qué sentido tuvo? ¿Es esta una forma civilizada de resolver las cuestiones? Parece que aquellos que organizan más y más “revoluciones de colores” se consideran a sí mismos unos “artistas geniales” y no pueden parar.

Estoy seguro de que el trabajo de asociaciones de integración, las estructuras de cooperación regional deberán construirse sobre una base clara y transparente. Un buen ejemplo de ello es el proceso de formación de la Unión Económica Euroasiática. Los estados miembros de este proyecto informaron previamente a sus socios de sus intenciones, de los parámetros de nuestra unión y de los principios de su funcionamiento, que estaban totalmente de acuerdo con las normas de la Organización Mundial de Comercio.

Añado que también dimos la bienvenida al comienzo del diálogo entre las uniones europea y euroasiática. Por cierto en esto también nos han rechazado casi siempre, tampoco se entiende por qué: ¿qué es lo que temen? Y claro, en este trabajo conjunto consideramos que es necesario el diálogo (he hablado de ello muchas veces y he oído a muchos de nuestros socios occidentales) aceptar la necesidad de la formación de un espacio único económico y de cooperación humanitaria que se extienda desde el Atlántico al Pacífico.

Estimados colegas: Rusia ha hecho su elección. Nuestras prioridades son el perfeccionamiento de las instituciones democráticas y de economía abierta, un desarrollo interno acelerado con todas las tendencias positivas actuales en el mundo y la consolidación de la sociedad en base a los valores tradicionales y el patriotismo. Tenemos una hoja de ruta pacífica, positiva, de integración. Trabajamos activamente con nuestros colegas en la Unión Económica Euroasiática, la Organización de Cooperación de Shanghai, los BRICS y otros socios. Esta agenda está dirigida al desarrollo de las relaciones entre países, y no a su separación. No queremos crear ningún bloque o vernos involucrados en un intercambio de golpes.

No tienen ninguna base quienes aseguran que Rusia trata de establecer algún tipo de imperio, violando la soberanía de sus vecinos. Tal acusación carece de fundamento. Rusia no necesita ningún lugar especial, exclusivo, en el mundo, quiero recalcarlo. Respetando los intereses de otros, simplemente queremos que se tengan en cuenta nuestros intereses y se respete nuestra posición.

Todos sabemos que el mundo ha entrado en una época de cambios y transformaciones globales, y todos necesitan tener cuidado y evitar dar pasos sin reflexionar. En los años posteriores a la Guerra Fría los participantes en la política mundial han perdido un poco esas cualidades. Ahora hay que acordarse de ellas. En caso contrario las esperanzas de un desarrollo pacífico y estable son una peligrosa ilusión, y las actuales conmociones serán un preludio del colapso del orden mundial.

Si, por supuesto que ya les he hablado de esto: la construcción de un orden mundial más estable es una tarea complicada, se trata de un trabajo largo y difícil. Fuimos capaces de crear unas reglas de interacción tras la Segunda Guerra Mundial, y pudimos llegar a un acuerdo en los años 70 en Helsinki. Nuestra obligación común es encontrar una solución a esta tarea fundamental en esta nueva etapa de desarrollo.

Muchas gracias por su atención

En el 2003 fui del Bloque Popular Social…Entrevista con Rev. Ricardo Cornejo

SAN SALVADOR, 15 de noviembre de 2014 (SIEP) “El 20 de septiembre de 2003 realizamos la asamblea de constitución del Bloque Popular Social, BPS en el local de STECEL sobre la Avenida España. Estábamos representados parte sustancial del movimiento popular de ese momento, incluyendo al STISSS, SIES, FSS, ANDES 21 de Junio, STSEL, ANTA, CCC, COFEVI, BPJ, CORDECOM…nos comparte el Rev. Ricardo Cornejo, de la Iglesia Luterana Popular.

Agrega que “únicamente existía otra instancia unitaria que a la vez aglutinaba a importantes sectores y organizaciones populares y que había sido creado en abril de 2003, y se llamaba el Movimiento Popular de Resistencia, MPR 12 de Octubre, en el que estaba CORDES, CRIPDES, MCS, CSTS, CONFRAS y otros. Estaba coordinado por Pedro Juan Hernández y Lorena Martínez.”

Enfatiza que “desde que nos creamos asumimos una dinámica masiva, permanente y combativa. Todas las semanas y a veces todos los días realizábamos actividades de denuncia de la corrupción del gobierno de Francisco Flores así como en solidaridad con las luchas que realizaban los pueblos de Cuba, Venezuela, Irak, Afganistán.”
“Entre los principales dirigentes del BPS se encontraba Guadalupe Erazo, Ricardo Monge, el Rev. Roberto Pineda, Carlos Rodríguez, Carlos Zelada, Arnoldo Vaquerano, Mario Chávez, Mateo Rendón, Ovidio y William Martínez, Marta Marín, Gloria Rivas, Elizabeth Rodríguez, Carlos Magaña (+), Martín Montoya, Victoriano García, José María Amaya, Mela, José Valencia y mi persona.”

Subraya que “durante este periodo como BPS fuimos los continuadores históricos de las tradiciones combativas de la CRM de principios de los ochenta y de la UNTS de mediados y finales de esa década. Estábamos en la calle diariamente como luchadores y luchadoras populares. A continuación mencionamos algunas de estas batallas de las muchas que libramos por nuestro pueblo.”
“A finales del año 2003 fuimos de los primeros en manifestar nuestro respaldo a la candidatura de Schafik Handal para la presidencia de la república, y una vez candidato nos movilizamos por lograr su victoria, la cual le fue arrebatada en marzo de 2004 como resultado de un masivo fraude. Schafik fue uno de nuestros principales asesores, lo mismo que Salvador Sánchez Ceren, y también Santiago Flores.”
“El 20 de octubre de 2003 nos concentramos en la Avenida Juan Pablo II frente al Hospital Medico Quirúrgico para protestar en contra de las negociaciones que realizan actualmente los gobiernos del istmo con Estados Unidos, para la firma de un Tratado de Libre Comercio, el cual se estaría consolidando el próximo año.”
“El 24 de marzo de 2004, aniversario de Monseñor Romero, realizamos como BPS un acto en el Salvador del Mundo, y en ese acto habló Schafik y denunció enérgicamente el fraude y pudimos presenciar como el contacto con su pueblo le regresaba la energía de luchador social que siempre lo caracterizó.”
“El 12 de octubre de 2004 estuvimos en Antiguo Cuscatlán, y junto con la Asociación Nacional de Indígenas Salvadoreños, ANIS realizamos un acto conjunto. Me acuerdo que la dirigente indígena Elba Rivera la esposa de Adrian Esquino Lisco gritó: “El pueblo seguimos oprimidos pero seguimos luchando” al participar en la celebración del Grito de los Excluidos, realizada al pie de la estatua de Atlacatl, en esta población cuna de la nacionalidad pipil.
Ese mismo día en Soyapango, organizaciones comunales del BPS dirigidas por Efren Mejía y Delmi Fuentes bloquearon la Calle de Oro en conmemoración del Grito de los Excluidos y en protesta contra la firma del Tratado de Libre Comercio con los Estados Unidos (TLC), contra la base Militar norteamericana en Comalapa y contra la ILEA. Asimismo otras organizaciones sociales realizaron actividades en todo el país.”
El 25 de noviembre de 2004 junto con el FMLN realizamos una marcha desde el parque Cuscatlán hasta la Plaza Cívica para repudiar la ola de asesinatos en contra de mujeres así como conmemorar el Día Internacional de la No Violencia contra las Mujeres. La Marcha culminó con un Culto Ecuménico en la Cripta de Monseñor Romero, en el cual se rindió tributo a la memoria de todas las mujeres y niñas que han muerto como resultado de la violencia intrafamiliar y social contra las mujeres.

“Ese mismo año, el 17 de diciembre nos lanzaron en la Avenida Juan Pablo II a los antimotines de la PNC ya que estábamos protestando contra la aprobación por diputados derechistas del Tratado de Libre Comercio con los Estados Unidos (CAFTA).La concentración se realizaba de manera pacífica frente al Centro de Gobierno, cerca de la Asamblea Legislativa, cuando alrededor de la 1p.m. antimotines de la PNC empezaron a marchar para dispersar la movilización. Los antimotines nos fueron empujando y golpeando hasta llegar cerca de Metrocentro donde finalmente lograron disolvernos. En esta primer manifestación popular de protesta contra el TLC fuimos golpeados, mi persona junto con el pastor Roberto Pineda así como el diputado del FMLN, Santiago Flores Alfaro.”

El 7 de abril de 2005 manifestamos nuestro respaldo a la gestión que realizaba la entonces Procuradora Beatrice de Carrillo quien presentó una demanda de inconstitucionalidad ante la Corte Suprema de Justicia, por reformas a la ley del sistema de ahorro de pensiones, que perjudicaban a los sectores de jubilados y jubiladas.
“El miércoles 15 de marzo de 2006 realizamos un acto en la Plaza Cívica para expresar nuestro respaldo a la victoria el pasado domingo de Violeta Menjivar del FMLN como alcaldesa de esta ciudad capital. La concentración se mantuvo y el viernes nos dirigimos hasta el TSE para exigir que se reconociera el triunfo de nuestra compañera y al final logramos esta victoria popular.”

“El 1 de junio de 2006 cuando realizábamos un cierre de calle en la carretera que conduce al aeropuerto de Comalapa, en protesta por el segundo año de gobierno de Antonio Saca, seis de nuestros compañeros fueron capturados durante las protestas, y fueron maltratados por agentes de la UMO y Policía Nacional Civil. Los cierres los realizamos a nivel nacional. Al final logramos que nuestros compañeros fueran liberados.”

El 17 de noviembre de 2006 bajo un fuerte dispositivo policial realizamos frente a la Embajada estadounidense una protesta exigiendo el cierre de la Escuela de las Américas. La protesta formó parte de una serie de actividades que a nivel latinoamericano realizó ese fin de semana el Movimiento Continental de Cristianos por una Paz con Justicia y Dignidad, el cual forma parte las Comunidades de Fe y Vida (COFEVI) de El Salvador.
En septiembre de 2007 expresamos nuestro respaldo a la candidatura del periodista Mauricio Funes para la presidencia y nos comprometimos a participar en su campaña, lo cual hicimos y logramos esta vez derrotar a la derecha y abrir una nueva época para nuestra patria que aún continúa vigente.
En el año 2007 formamos el Frente Social por un Nuevo País (FSNP) que fue un nuevo nivel de unidad en el que coincidimos fundamentalmente BPS y MPR-12, junto con otros sectores sociales, de lo que se dio en llamar el G-8 y que incluían al Foro para la Defensa de la Constitución (FDC), que coordinaba el abogado progresista Chema Méndez; la Mesa Nacional Agropecuaria rural e indígena,; la Asociación de trabajadores y productores del sector cañero; la Mesa Nacional de Panificadores (MENAPAES), el Consejo Coordinador Nacional e Indígena (CCNIS); la Asociación salvadoreña de obreros y campesinos , ex patrulleros y damnificados (ASOCED); la Asociación para la cooperación y el desarrollo comunal de El Salvador (CORDES),la Asociación agropecuaria Monte Ararat; el Consejo Coordinador de Comunidades (C.C.C) dirigido por Toño; la Federación Salvadoreña de cooperativas de la reforma agraria (FESACORA), donde estaba Mateo Rendón y la Confederación de Federación de la reforma agraria Salvadoreña (CONFRAS), donde estaba Miguel Alemán y Ricardo Ramírez.
Por cierto ya en el gobierno de Funes, en octubre de 2009, cuando se convoca para el Consejo Económico y Social, CES, decidimos integrarnos y lo hicimos junto con Pedro Juan pero después valoramos la necesidad de salirnos y lo hicimos. Y esto provocó una ruptura en el FSNP ya que un sector conducido por Guadalupe Erazo y Mateo Rendón decidió quedarse en el CES. Posteriormente diversas organizaciones que integraban el FSNP “No Gubernamental” y otras como el SITINPEP dieron nacimiento en el 2012 a la Coordinación Popular por un País sin Hambre y Seguro, CONPHAS.
Concluyó afirmando que “vamos a continuar luchando para que las ideas que dieron origen al Bloque Popular Social como una organización masiva y combativa continúen señalándonos el camino que nos conduzca hacia la conquista de una patria nueva, digna, democrática y con justicia social.”

El 11 de noviembre de 1989 en San Marcos. Entrevista con Roberto Pineda

El 11 de noviembre de 1989 en San Marcos. Entrevista con Roberto Pineda

SAN SALVADOR, 10 de noviembre de 2014 “A partir de septiembre del 89 los preparativos insurreccionales fueron aumentando, había que conseguir megáfonos, resmas de papel, medicinas y llevarlas poco a poco a casas de seguridad en el sur de San Salvador…han pasado ya veinticinco años y son los mismo vientos” nos comparte Roberto Pineda.

“Nuestro frente de guerra y futuro territorio liberado sería el municipio de San Marcos y la recomendación dada por Frido es que “si no conocen, vayan a conocer la zona, patéenla, recórranla…”¿Y cuándo va ser? Ya pronto.”
“La noticia que íbamos a combatir en la soñada insurrección “hasta el tope” corría como reguero de pólvora y nos llenaba de ilusiones. Se vivía en la UES un ambiente de tenso optimismo. “Hay nos vemos después del triunfo…”Y una vez fuimos con Dagoberto Aguirre, mi asistente en la Secretaría de Comunicaciones, a recorrer la zona.

Era un sector popular dividido por la calle principal, al oriente de la cual estaban las estribaciones del cerro San Jacinto, eran calles empedradas que subían hacia el cerro y al occidente había una hondonada profunda repleta de urbanizaciones y de pasadizos donde serpenteaba un oscuro y maloliente río. Había una zona alta y una zona baja. En esa ocasión escalamos el cerro y ya no volvimos a regresar. Nos preguntábamos: ¿y nos irá a apoyar la gente?
El viernes 10 de noviembre asistí a una reunión cena preparatoria. Se realizo en una pupusería de la Avenida Bernal. Llegaron Miguel y Damián, jefes militares de las FAL. Hablamos sobre los preparativos y el estado de ánimo de la gente que íbamos a movilizar para San Marcos. Recuerdo que Damián me comento con mucho optimismo que “en estos momentos hay cinco mil guerrilleros rodeando San Salvador.” Estábamos listos a tomar el cielo por asalto…Había un ambiente de optimismo. Íbamos a terminar con la dictadura.
El Día D
El 11 de noviembre era un sábado y amaneció norteando, con la misma intensidad que estos vientos actuales, que quedaron pendientes de octubre. Me levante temprano, ansioso, impaciente porque pasaran las horas. A las dos de la tarde salí para contactar a diversos participantes. De cinco, me fallaron dos alegando compromisos familiares. Me despedí con un beso de mi esposa Isabel que quedaba embarazada de Adela. Ella se dirigió hacia Soyapango, a la casa de su hermana Vilma. Yo aborde la ruta 11 hacia San Marcos. Estuve en el puesto convenido a las 6 p.m. La fiesta iniciaría a las 7 p.m. Poco a poco las calles se fueron llenando de compañeros y compañeros que nos mirábamos, nos reconocíamos, pero sin hablarnos.
Caminábamos tranquilamente a ambos lados de la calle desde la MAN hasta el Mercado, unas cuatro o cinco cuadras. Éramos unas treinta personas caminando. Al ir anocheciendo se fueron encendiendo los faroles rojos de varios chupaderos del lugar. Se dieron las siete de la noche y como responsable me pasaban preguntando: y ¿Qué ondas? No sé, cálmate, ya va empezar. A las siete y media teníamos cerca de sesenta personas caminando de arriba a abajo, de abajo a arriba, ansiosas y confundidas por el retraso. ¿Y las armas que nos iban entregar? ¿Y la gente de las FAL?
Con Dagoberto decidimos entrar a un chupadero. ¿Qué van a querer? Nos trae dos cervezas. Había que consumir. Al instante las otras mesas del lugar estaban llenas de caras conocidas, pero sin hablarnos. Pero nos señalaban que los invitáramos. A ese que esta ahí cóbrele. Si le piden, que le paguen. Y seguían entrando compañeros….disimulen. Las trabajadoras del sexo del lugar nos miraban entre alegres y confundidas sobre que estaba pasando. ¿Quieren ocuparse? ¿Y cuántos son? Algunos atrevidos preguntaban hasta precios. ¿Nos da tiempo?
Se dieron las ocho de la noche y todo seguía tranquilo ¿Y si la suspendieron? ¡Cálmate! Y ¿ya hicieron contacto? Al rato era paja todo. ¿Pedimos otra ronda? ¿Vos vas a pagar? No tengo dinero. ¿Puedo pedir una cerveza? Y ¿a chupar veniste? Las ocho y media y nada y al salir del bar vemos que buena parte de la tripulación del barco estaba ya en otros bares. Ocupaban todas las mesas y había hasta gente parada. Hablo con Norma y decidimos llevar la gente a un sitio seguro. Somos cerca de sesenta personas. Recorro los bares avisando que nos vamos a refugiar, paguen y salgan, disimulen… ¡disimulen!
Cuando llegamos al mercado escuchamos explosiones lejanas y tiroteos. Todos nos alegramos. Pero ¿y el contacto? Se suponía que nos iban a entregar armas aquí en la calle e íbamos atacar a la Comandancia. La gente comenta en la calle que los guerrilleros del FMLN están atacando en todos lados, en Soyapango, en Ciudad Delgado.
Vamos a refugiarnos, parecemos una procesión. Llegamos a una casa de dos plantas y entramos. Es de unos colaboradores. Aquí es donde está guardada la medicina que Norma (Herrera) y mi esposa han traído. Hay un patio grande en la segunda planta donde nos acomodamos. Debemos de guardar silencio. Se reparten panes con frijoles. Platicamos con Norma que lo mejor es esperar el amanecer para regresar a nuestros lugares y ver como desde ahí nos incorporábamos. De pronto aparece Miguel, el contacto esperado. Cálmense, ya viene la tropa.
El repliegue
Al amanecer nos contactan. Llega una escuadra de las FAL y Miguel asume su conducción. Reconozco a Fabio Fuentes, con su fusil y uniformado y al hijo de Eduardo Calles. Salimos todos del refugio, nos entregan fusiles y balas. Empezamos a bajar, y luego vamos subiendo por la zona baja rumbo al sur hasta salir a la calle Panamericana a la altura de una gasolinera Shell. Bloqueamos la calle. Enfrente hay un colegio religioso de monjas en el que nos parapetamos. La gente se concentra curiosa pero a la expectativa, sin incorporarse.
Empezamos una labor de agitación. “Somos el FMLN y hemos venido para quedarnos. No podrán movernos. Estamos combatiendo en todo el país. Nuestras armas son la garantía de la victoria popular sobre esta dictadura que ha sido ya derrotada. ¡Viva la victoria popular! ¡Te hacemos un llamado a que te incorpores a esta lucha! La gente nos escuchaba de lejos pero no se incorporaba. Estaba a la expectativa de la respuesta del ejército. Era cautelosa.
A mediodía inicia el ataque de tropa del ejército disparándonos junto con avionetas. Los vemos venir y ante la fuerza del ataque salimos en desbanda. Corremos rumbo al occidente, con vistas a llegar a la carretera al aeropuerto. Están disparándonos con tropa y desde las avionetas, son las famosas “avispas.”Nos dividimos en pequeños grupos, sigo a Miguel y a Eduardo, y detrás de mi viene Guadalupe Ortíz, del CCC.
Al alcanzar una altura vemos hacia abajo y podemos distinguir a Dagoberto, Tania Parada y Norma que ingresan a una casa a refugiarse. Es ahí donde los asesinan. Refugiarse equivalía a ser asesinado por las fieras. Seguimos subiendo, al llegar a la carretera vemos tropa del ejército al norte de la autopista que empiezan a dispararnos. Miguel grita: ¡hay que cruzar!¡hay que cruzar!
Cruzamos y empezamos a subir, buscamos veredas, vaguadas, caminos hacia la cima de esta montaña. En el camino al ir subiendo, guerrilleros se nos adelantan y preguntan por alguien. ¿Lo han visto? ¿Pudo subir? Llegamos a una planicie y descansamos. La avispa continúa con su sonido ensordecedor. Eduardo afirma que desde arriba no pueden vernos, que no nos movamos. Miguel aconseja encharralarnos.
Y nos cubrimos, nos metemos en montículos de rala maleza que hay desperdigados. Desde ahí vemos a San Marcos, sus calles y el zumbido de la avispa, y ráfagas aisladas, lejanas… ¡Qué habrá pasado con Norma? ¿Los habrán capturado? Miguel se comunica por radio y nos informa que hay combates en todo el país y de ciudades capturadas por la guerrilla.
Es mediodía y compartimos una naranja cortada en el camino. Pasan las horas, platicamos, descansamos. Viene la tarde y luego vemos aparecer una luna gigantesca, amarrilla como yema de huevo. Cada quien busca un lugar para dormir. Hace frío y mucho viento y me resulta difícil encontrar el descanso.
Paso la noche en vela, esperando el amanecer. Amanece un domingo soleado y ventoso. Miguel ordena que hay que bajar y reintegrarnos a partir de nuestros contactos. Lo hacemos. Al ir bajando encontramos una cabaña donde cambio mis zapatos, pantalón y camisa. Al bajar a la autopista, la vida parece transcurrir con normalidad, sin contratiempos. Los cuatro abordamos un micro bus hacia el centro.
Llegamos a la plaza cívica sin novedad, nos bajamos. Me encamino a buscar un bus hacia Soyapango. Lo consigo. Al llegar a la Col. Los Santos hay cadáveres en las calles de guerrilleros, de un muchacho y una muchacha. Sus rostros están ya amoratados. La gente camina de prisa, nerviosa. Llego a la casa de la hermana de mi esposa. La encuentro y al verme Isabel se echa a llorar de alegría. ¡Había regresado!
Le cuento lo que había pasado y por la tarde tratamos de regresar a nuestra casa en Ayutuxtepeque, pero no se podía ingresar a la zona, estaba cercado el lugar por tropas del ejército. Lo intento al día siguiente y veo por la Calle Washington a Armando Herrera. ¿Y Norma? Esta capturada me dice confiado. Pero no, había sido asesinada y Armando todavía guardaba esperanzas de encontrarla. El jueves 16 logre ingresar a mi casa. Escuchamos por radio que han asesinado a los jesuitas. Están acusando al FMLN de ser los autores. ¡No puede ser!
El viernes 17 logro regresar a mi casa. La puerta ha sido balaceada. Ese mismo día contacto con Mauricio Mejía y me comparte que están trabajando con Lucho (Luís Argueta Antillón) para recuperar el campus de la UES, tomado por los militares desde el 11. Por la noche vamos a una entrevista en el canal 21. Las noticias confirman el asesinato de Norma, de Tania y de Dagoberto. Nos reunimos con Armando y decidimos instalarnos en la Rotonda y desde ahí emprender la campaña para que nos regresen el campus universitario. Luego alquilamos un edificio frente a la UES, arriba del IVU. A principios de 1990 logramos que nos devolvieran el campus, el mismo Coronel Elena Fuentes nos lo entrego. ¡Los habíamos derrotado!

Presentan en UES libros de Guillermo Rojas y Roberto Pineda

Presentan en UES libros de Guillermo Rojas y Roberto Pineda

SAN SALVADOR, 1 de noviembre de 2014 (SIEP) El Movimiento por la Transformación de la Universidad de El Salvador (MOTUES) presentó esta tarde en la Facultad de Derecho los libros Sindicalismo en El Salvador de Guillermo Rojas y Las luchas e los movimientos populares en El Salvador 1810-2010 de Roberto Pineda.

El Lic. Walter Rivas, Coordinador del MOTUES indicó que “es para nosotros un gran honor tener la presencia esta tarde de dos luchadores sociales, Guillermo y Roberto, que contribuyeron con su praxis desde la UNTS y la UES, y hoy lo hacen desde la teoría a la derrota de la dictadura militar y a la conquista del actual proceso democrático…”

Por su parte, Roberto Pineda en su exposición se remontó hasta la época de la conquista “en la cual los jefes militares invasores recibieron “encomiendas” de indios, los cuales tributaban productos agrícolas, y en la región de Sonsonate, en Izalco entregaban tributos de cacao y de bálsamo, mediante los cuales nos incorporamos al mercado internacional.”

Agregó que “después de la resistencia militar indígena es en esos cacahuatales y balsamares, en los maizales y frijolares de las comunidades, donde se fueron creando las semillas, las raíces, las bases de las futuras luchas populares y donde surgen las organizaciones de los oprimidos, de los explotados…”

Concluyó que “a lo largo de nuestra historia el hilo conductor es la resistencia y la lucha popular, eso es lo que nos identifica y nos afirma como sector popular opuesto a los imperios y a los sectores dominantes. Y ese hilo conductor atraviesa ríos y montañas, cacahuatales y obrajes añileros, fincas cafetaleras, plantaciones de caña y algodonales, talleres artesanales y fábricas industriales, escuelas y mercados, cuarteles y campamentos guerrilleros, plazas y hospitales, porque donde hay opresión, hay resistencia.”

Fui del PCS en 1964…Entrevista con Alfredo Acosta

SAN SALVADOR, 25 de octubre de 2014 (SIEP) “Solo quedan dos personas vivas de la antigua Comisión Nacional de Organización del Partido Comunista, que funcionó en los años sesenta…” nos comparte el revolucionario salvadoreño Alfredo Acosta, de 86 años.

“En el año 64 fuimos con Rafael Aguiñada Carranza, que usaba el pseudónimo de Mateo y formaba parte de la Comisión Nacional de Organización, CNO, a un curso de estudios políticos en la URSS y regresamos el año siguiente, en 1965. Estando allá llega la noticia que Mateo había sido incorporado como suplente al comité central. Al regresar me fui para Santa Ana y luego fui también incorporado como suplente del comité central. En 1967 Mateo es elevado a propietario del comité central. Y después de la campaña de Fabio en el 67 asume la conducción de la CNO.”

En Santa Ana yo era el secretario general del Comité Departamental. Solo existía en Santa Ana, ya que no había en esa época ni en Ahuachapan ni en Sonsonate. En este CD de Santa Ana también participaba Mario Rivera, Santos Medardo Villeda, que por cierto falleció recientemente, Ricardo Rivera, conocido como El Españolito, que es capturado y asesinado ya durante la guerra al ir camino a San Vicente. Su esposa y su hijo son capturados y desaparecidos en 1980 cuando le caen a la casa de Toni Handal, el hermano de Schafik. Solo ha quedado su hija, Ana María. También estaba Mariano Carranza, que era ladrillero y trabajaba en la misma fábrica que Víctor Rivera.

En 1969 llego la directriz de la dirección del Partido que debía de trasladarme a San Salvador. Fue todo un debate ya que mis compañeros del CD se oponían a este traslado. La dirección mando a Blas Escamilla, que era del CC, para que llegara a explicar las razones y pasamos toda una noche discutiendo, hasta que al final se decidió acatar la decisión. Al irme asume la dirección del CD el profesor Orlando Guerrero Chamul, dirigente de ANDES 21 de Junio, que es asesinado en 1980.”

En San Salvador

Al llegar a San Salvador en 1969 me integran al trabajo de la CNO. Asumo la responsabilidad de atender políticamente al occidente del país, Santa Ana, Ahuachapan y Sonsonate. En Ahuachapan había una célula y el contacto era el Profesor Preza. En Sonsonate había más trabajo, estaba Ricardo Erazo, del sindicato de la electricidad, Carlos “El Quemado” Castro, que tenía un taller de muebles de mimbre; David Pereira, que era el responsable y que después se incorporó a la CNO; Adán Rosales, que era de Metalío y pertenecía a la Comisión Campesina; Roberto Manchan; Bartolo, que había sido antes del CC, era de origen indígena, había participado en el levantamiento del 32, y vivía en un ranchito a la orilla del río de Caluco.

En el VI Congreso de 1970, Rafael Aguiñada (Mateo) David Pereira (Pedro) Héctor Acevedo (Octavio) y mi persona (Milton o Nery) somos electos para integrar el Comité Central. Daniel Castaneda (Pío) sale del comité central pero se queda en la CNO. Los cinco pasamos a integrar la CNO. También estaba Víctor Bonilla, “El Niño” que era de la CNO y además de la Comisión Militar. Estaba Raúl Granillo, que era de Usulutan. Incluso a mediados de los setenta, se integra Jorge Molina, Candelita, en representación de la Juventud Comunista, (JC) y pasa a formar parte de la CNO. Y entonces Peter, como le decíamos a Pedro, pasa a atender Sonsonate. Pero luego tanto Pedro como Octavio salen a estudiar a la URSS.

En septiembre de 1975, luego del asesinato de Mateo paso a ser el responsable de la CNO, y en el 76 soy electo como secretario general de la Directiva Suprema del partido UDN. Pasó a sustituir a Octavio Velasco, que estaba casado con una chilena y fue simpatizante del Partido, posteriormente fui sustituido en este cargo por Mario Aguiñada. El presidente del UDN era Mario Inclan, el síndico era Dagoberto Gutiérrez, otro directivo era Raúl Vargas “El Bachi” y un compañero de apellido Prieto.

En 1977 soy capturado por la Policía Nacional y se me trata de involucrar con la muerte del canciller Borgonovo. Me mantienen 52 días secuestrado, torturándome brutalmente. Niegan mi captura y soy liberado hasta el 1 de julio de ese año, cuando asume la presidencia el General Romero. En términos generales, durante mi militancia en el PCS sobreviví a cinco capturas.

En el VII Congreso en abril de 1979 soy ratificado como responsable de la CNO. Fíjate que ya a finales del 80 como resultado del viraje a la lucha armada, la CNO dejó de funcionar y la mayoría de decisiones eran militares, en función de la guerra. En los primeros años de los ochenta, la mayoría de la CP salió, únicamente nos quedamos Eduardo, Hugo, El Bachi y mi persona.

El 8 de junio de 1983 fui de nuevo capturado por la Policía Nacional. Y con casi toda mi familia, incluyendo mi mujer y un hijo y su esposa. Nos mantuvieron en una cárcel clandestina a la que se entraba por un gran portón negro. Cuando llegue me sorprendió que alguien me saludo con mucha confianza: Hola Nery, dos años de no verte… Estuvimos de nuevo secuestrados. Ponían la música a todo volumen para que no se oyeran nuestros gritos de dolor por las torturas.

Pasamos así una semana, luego nos pasaron a los hombres a Mariona y a las mujeres a cárcel de Mujeres. En Mariona me encontré con antiguos amigos: Carlos Ruiz, “El Diablito” y Carlos Castaneda, “El Viga” actual vicecanciller. Lucio ya había salido. Estuve seis meses preso y luego me decretaron la orden de libertad. A principios del año 84 me encontraba ya en Managua, Nicaragua, con nuevas responsabilidades partidarias…

La unidad de la izquierda salvadoreña en diciembre de 1979

La unidad de la izquierda salvadoreña en diciembre de 1979 Por Roberto Pineda San Salvador, 23 de octubre de 2014

El 15 de diciembre de 1979 se cierra en La Habana, Cuba, un sombrío capitulo de división en la historia de la izquierda salvadoreña, que abarcó diez años de hiriente tirantez y voraz disputa del movimiento popular. Este acuerdo unitario inicial entre Partido Comunista (PCS), Resistencia Nacional (RN) y Fuerzas Populares de Liberación (FPL), viene a fortalecer el aspecto subjetivo del proceso revolucionario y pone a la orden del día la lucha por el poder mediante el derrocamiento de la dictadura militar.

Este primer acuerdo de tres organizaciones revolucionarias permitió la creación el 11 de enero de 1980 de la Coordinadora Revolucionaria de Masas, CRM, aglutinando al BPR, UDN, FAPU, MLP y LP-28; y a la convocatoria a la histórica Marcha de la Unidad el 22 de enero de 1980 y asimismo proclama la Plataforma Programática del Gobierno Democrático Revolucionario, así como impulsó la fundación el 2 de abril del Frente Democrático Revolucionario, FDR, integrado por MPSC, MNR, MIPTES y CRM; el 22 de mayo de la Dirección Revolucionaria Unificada, DRU, integrada por el PCS, RN, FPL y ERP y el 10 de octubre del Frente Farabundo Martí para la Liberación Nacional, FMLN.

En las siguientes líneas abordamos esta temática desde el prisma de los comunistas, quienes fueron los que históricamente impulsaron con mayor decisión esta línea de acción dentro de la izquierda salvadoreña.

Entrevista de Schafik con periodista mexicano (10 de enero de 1980)

Considera Schafik que “inseparablemente unido al tema de la unidad de las fuerzas revolucionarias está el tema de su división. No se puede abordar uno sin analizar el otro; son dos aspectos contradictorios de un mismo proceso dialéctico de desarrollo del movimiento revolucionario. Nosotros hemos reflexionad sobre este proceso, sobre las causas de la división y sus consecuencias. Quizás por eso es que estábamos listos para la unidad.”

Agrega que “hasta 1970 es que se forman las núcleos que dieron origen a las organizaciones revolucionarias armadas. Así pues, durante 40 años fue el PCS un combatiente solitario, que a pesar de su grave debilitamiento después d el derrota de 1932, pudo en condiciones muy difíciles mantener en alto la bandera de la democracia, del socialismo y del comunismo y poco a poco abrió espacio a esa causa, a esa bandera, a esas ideas.”

“Nosotros nos hemos preguntado ¿Por qué estuvimos solos durante tanto tiempo? Si esto se ve superficialmente, a la luz de algunas argumentaciones que han sido esgrimidas por otros, se podría creer por ejemplo, que nuestro Partido ejercía algo así como un monopolio de la izquierda que no dejaba espacio a otros, el cual fue roto “por fin” en 1970; o que la línea del PCS fue correcta hasta cierto momento en los años sesenta, pero su orientación degeneró volviendo al Partido inepto para la revolución y que, por una o ambas razones, aparecieron nuevas organizaciones revolucionarias.”

Enfatiza que “el hecho de que no existieran otras organizaciones de izquierda no basta para afirmar que el PCS monopolizaba todo ese espacio. La verdad objetiva dice que el PCS, fue durante aquellos 40 años una organización muy pequeña, rodeada de un difundido anti-comunismo, dominante incluso en la Universidad hasta 1960-1961. El PCS no “monopolizaba” la izquierda, luchaba dentro de ese cerco y bajo la persecución para abrir espacio al pensamiento de izquierda.”

Analiza que “lo ocurrido en los últimos dos decenios y en particular la división de los revolucionarios a partir de 1970 no puede comprenderse correctamente si no se tienen en cuenta las mutaciones y tendencias del desarrollo de la formación social, junto con el análisis de los principales conflictos políticos y de la conducta de las diferentes fuerzas de clase, el PCS entre ellas.”

Opina que “la industrialización dependiente trajo consigo cambios sustanciales en la estructura clasista de la sociedad: nuestra clase obrera era principalmente artesanal, habían muy pocas fábricas hasta 1950 y con su proliferación desde entonces, empezó a formarse un proletariado abril, reclutado en el campo y las localidades urbanas del interior del país…la expansión del capitalismo dependiente engendra estos nutridos segmentos sociales, pero su establecimiento industrial y económico es incapaz de absorberlos.”

Sostiene que “los errores y debilidades del PCS en aquellos años (finales de la década de los sesenta) no fueron las causas profundas el aparecimiento de otras organizaciones revolucionarias; esta se finan, en primer lugar, en los nuevos fundamentos sociales formados en el curso de la tercera etapa del desarrollo del capitalismo dependiente en nuestro país.”

Estima que “el surgimiento y desarrollo de nuevas organizaciones de izquierda, aunque estas ha cometido muchos errores y en más de un caso sufrieron la división de sus filas, imprimió dinamismo al movimiento popular, incorporó a este la lucha armada y trajo una positiva emulación en todas las filas revolucionarias.”

Concluye que “la lucha en común va a unirnos mucho más; que el abordar en común el análisis de los problemas de nuestro país va a unirnos mucho más; que el derramar sangre juntos, combatiendo por la misma causa, v unirnos mucho más y que de esto va surgir pronto la dirección única de la revolución y a un plazo que no puede ser demasiado largo, va a surgir también el partido marxista-leninista único.”

Entrevista de Schafik con Prensa Latina (Febrero de 1980)

Sostiene Schafik sobre el proceso de unidad que este “concluirá unificando pronto todo el pueblo, todas sus corrientes revolucionarias y democráticas. El anuncio de la unidad produjo una explosión de jubilo popular, lo cual demuestra que la división era insostenible…Las bases de todas nuestras organizaciones, las grandes masas sobre las que influimos, cargaban con la división como un mal injustificable…”

Agrega que “el antecedente más inmediato, el que, por decirlo así, precipitó el acuerdo sobre la unidad salvadoreña, fue al unidad de las tres corrientes que integraban el Frente Sandinista y que condujo al triunfo de la Revolución Nicaragüense. Unidad y victoria, esta relación, esta conjugación precisa para obtener la victoria del pueblo de Nicaragua, produjo un fuerte impacto en El Salvador y la causa de la unidad se convirtió en una bandera para todos.”

Explica que “hemos alcanzado un acuerdo de unidad que pone en marcha un proceso orientado, según lo considera el PCS, hacia la creación de una dirección unificada de la revolución, una dirección político-militar unificada…y todavía más: hacia la formación de un partido único marxista-leninista de la Revolución Salvadoreña. Esa es la perspectiva con la que trabajamos todos…”

Opina que “la única posición verdaderamente revolucionaria que el PCS podía adoptar, era de reconocer como una consecuencia natural del desarrollo tardío de una sociedad capitalista dependiente la pluralidad de las organizaciones revolucionarias, con un base social y estable en El salvador y presentar el problema de la vanguardia de al revolución salvadoreña como algo para resolver a partir de la unidad de las organizaciones revolucionarias o, lo que es lo mismo: la vanguardia única se forma en un proceso de unidad progresiva.”

Subraya que “el PCS, fue fundado en 1930 y no fue sino hasta 1970 cuando surgieron los núcleos que dieron origen a las organizaciones revolucionarias armadas. Esto quiere decir que el PCS fue un combatiente solitario pro la causa de la revolución democrática y el socialismo en este período de 40 años; el PCS era la única organización marxista-leninista del país, combatida por el enemigo y durante mucho tiempo aislada d amplios sectores de las capas medias y de los mismos trabajadores.”

“Las masas mismas no sabían que comunistas dirigían sus luchas reivindicativas, había muchos prejuicios, y esto, inclusive, produjo traumas entre nuestros militantes y desviaciones en la metodología de trabajo. Ahora bien ¿Por qué el PCS estuvo solo durante tanto tiempo? Es decir: las organizaciones revolucionarias armadas surgieron hace diez años debido a los errores del PCS y al hecho d que era insostenible su monopolio sobre la izquierda. Consideramos que esto argumentos encierran algunos elementos de la verdad, pero no constituyen toda la verdad.”

Añade que “el proceso de industrialización produjo cambios substanciales en las estructura de las clases sociales salvadoreñas. La clase obrera, hasta 1950, estaba ligada a talleres que por el desarrollo de su técnica, de sus fuerzas productivas, eran de tipo artesanal. Había pocas fábricas en El Salvador. Entonces, empezó a surgir un proletariado fabril, reclutado en el campo, en las poblaciones urbanas del interior del país, un proletariado sin experiencia en la lucha de clases…”

“Al mismo tiempo, como una necesidad del mismo proceso de industrialización se produce la expansión del sistema educativo y con ello el surgimiento de un sector sumamente numeroso de estudiantes universitarios y de intelectuales que, integran una masa que, también es marginal, por que no puede ser absorbida por el proceso de desarrollo industrial.”

Argumenta que “se registro entonces, un despliegue de la lucha de clases; brotaron nuevos conflictos, y esta expansión del capitalismo dependiente en El Salvador aportó la base social que hacia necesaria la aparición de organizaciones revolucionarias de diverso tipo. Esta es la nueva base social que también ofreció la posibilidad de sostener diversos matices ideológicos y políticos en la izquierda salvadoreña.”

Especifica que “los errores del PCS fueron el detonante que hizo surgir a las demás organizaciones revolucionarias pero las raíces profundas, las cusas, tiene una base social e histórica. En este proceso, el PCS no ve únicamente el enfrentamiento de concepciones ideológicas y el pretendido monopolio de la vanguardia revolucionaria. También considera que en las condiciones del desarrollo social de América Latina, el surgimiento de la clase obrera y de otras clases, grupos y capas sociales…esta influid ay marcada por las características del capitalismo dependiente. Debido a eso, existe una suficiente base social para la irrupción no de una, sino de varias organizaciones revolucionarias en un solo país.”

Concluye que “la única posición revolucionaria que el PCS podía adoptar era la de reconocer, como una consecuencia natural del desarrollo tardío de una sociedad capitalista dependiente, la pluralidad de las organizaciones revolucionarias con una base social propia y estable en El Salvador, y presentar el problema de la vanguardia de la revolución salvadoreña como algo por resolver a partir de la unidad de las organizaciones revolucionarias, o lo que es lo mismo: la vanguardia única se forma en un proceso de unidad progresiva.”

La participación del PCS en la primera Junta de Gobierno

Explica Schafik que “el PCS participó porque la revolución salvadoreña necesita también de las fuerzas democráticas. Solo, el movimiento revolucionario no puede triunfar. Y en aquel entonces, a la caída del régimen el General Carlos Humberto Romero, las corrientes democráticas, los sectores progresistas, brindaron su apoyo y se incorporaron a la Junta de Gobierno. Así, siendo el PCS la organización revolucionaria con las relaciones más antiguas hacia las fuerzas democráticas, fuerzas con las que anteriormente había desplegado una política de alianzas, era necesario acompañarlas, ir a su lado hasta el momento en que el proyecto fracasara, a fin de evitar la dispersión después de la derrota y poder inmediatamente vincularlas con el movimiento revolucionario.”

Agrega que “en segundo lugar, porque independientemente de que el golpe del 15 de octubre de 1979 fue una maniobra y una simulación del imperialismo y la derecha salvadoreña, estaba involucrada una corriente patriótica, progresista, de jóvenes militares que desconocían los objetivos de nuestro enemigo principal y que en verdad habían cifrado sus esperanzas en esa salida para la crisis nacional. Ahora, ante esos militares, también han sido definidos los caminos y se presenta la posibilidad histórica de que una parte del ejercito se una al pueblo y a su movimiento revolucionario.”

Explica que “el PCS considera que esta es una hermosa posibilidad, aunque también subraya que la revolución es un proceso irreversible y su triunfo no depende de si participa o no un parte del ejército. Sin embargo, también es cierto que la incorporación de los militares patriotas representaría el ahorro de un costo social, y los revolucionarios somos los primeros en tratar de evitar la violencia y sus trágicas consecuencias.”

Añade que “es necesario subrayar que el PCS no se limitó a una presencia, digamos, de personalidades, no, fue la única fuerza política que emitió una plataforma y un programa de cambios políticos y estructurales consecuente con los intereses populares…Y ese es precisamente el programa, que mutilado, se abre paso ahora con la segunda Junta de Gobierno. Advertimos lo de mutilado, porque no se realizaron los cambios políticos dirigidos a expulsar del aparato del estado a los fascistas, ni cesó la represión, ni se puso en libertad a los presos políticos, ni se castigo a los asesinos y torturadores, ni se liquidaron los cuerpos para-militares, etc., todo lo cual ya provocó una nueva crisis.”

Concluye que “la primera Junta de Gobierno fracasó, como lo esperaba el PCS, y fue una derrota para los fascistas, porque las fuerzas democráticas se retiraron asestándoles golpes contundentes. Por otra parte, y a pesar de que al Democracia Cristiana se encuentra en la actual Junta de Gobierno, es preciso advertir que en su seno existen corrientes progresistas, y en la medida en que se agudice la lucha de clases, en esa misma medida se irán incorporando al lado del pueblo, con el movimiento revolucionario, que no les cierra las puertas.”

Tenemos un solo camino: la lucha armada. Junio de 1980

Reconoce Schafik que “nosotros teníamos confianza en que íbamos a llegar a los acuerdos de unidad, a pesar de la apasionada polémica, pus hacia algún tiempo que habíamos arribado a algunas conclusiones, derivadas del análisis de l estructura clasista d ela sociedad en condiciones de capitalismo dependiente y de subdesarrollo propios e la formación social en El Salvador.”

Explica que “antes, en la polémica con otras organizaciones surgía con mucha frecuencia esta argumentación de parte de ellas: el Partido Comunista era una organización revolucionaria que monopolizaba todo el espacio revolucionario del país, pero a finales de los años 60 cometió errores que negaron su carácter revolucionario y lo convirtieron en una organización reformista; y por eso fue necesario y posible el surgimiento de otras organizaciones revolucionarias.”

Comparte que “nosotros analizamos estos argumentos, tratando de encontrar lo que hubiera de verdad en ellos. En 1970, el Partido Comunista tenía 40 años de vida. ¿Por qué durante eso 40 años no aparecieron otras organizaciones revolucionarias? Nuestros amigos decían que el Partido monopolizaba la izquierda porque era revolucionario, pero esa explicación no resultaba satisfactoria., simplemente eso no era cierto. Después de la derrota de la insurrección de 1932, nuestro Partido quedo sumamente debilitado durante muchos años, cometió muchos errores, la mayoría de las veces errores de reformismo y algunos de índole izquierdista.”

Agrega que el PCS “fue sumamente pequeño y débil, con muy poca influencia, cercado por la hostilidad anticomunista de la reacción. Hubo un tiempo en que el pequeño Partido de los comunistas se sintió tan cercado, que incluso empezó a propagarse la idea de que él no existía. Era, desde luego, una idea errónea que fue corregida. El pequeño grupo de comunistas participaba en todas las luchas, se vinculaba a todas ellas, y por eso subsistió y logró luego desarrollarse, pero tuvo que realizar una lucha muy grande para abrirse campo.”

Concluye que “las respuestas radican fundamentalmente en los cambios sufridos por la estructura clasista de la sociedad en el curso de la tercera etapa de desarrollo del capitalismo dependiente en nuestro país. Esta se inició a finales de los años cuarenta en el marco de la inmediata posguerra y alcanzó sus niveles culminantes en los años sesenta; teniendo como núcleo dinámico la industrialización penetrada por los monopolios imperialistas y apoyada en el Mercado Común centroamericano…Era imposible que sobre la base del aparecimiento de estos nuevos sujetos sociales dejaran de surgir diversas organizaciones de izquierda.”

Evalúa en relación a los acuerdos unitarios que “nosotros mismos estábamos sorprendidos de como sobre la base de los primeros acuerdos ha surgido un clima verdaderamente fraternal entre nuestras organizaciones. Por supuesto que no es idílico el panorama; hay restos de sectarismo, de la dura polémica de10 años, quedan prejuicios. Pero todo eso es hoy muy secundario y hasta insignificante y no puede detener la marcha ascendente del proceso unitario, cuya meta es la creación del Partido Marxista-Leninista Unificado, para lo cual no hay, desde luego, un plazo fijado.”